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Dans sa simplicité, ce verset pourrait résumer tout l’Évangile. Hélas nos cœurs ont perdu leur innocence originelle : ils sont devenus bien trop « compliqués et malades » (Jr 17,9) pour pouvoir mettre en pratique cette exhortation. Pourtant, au terme de notre vie, c’est sur l’amour que nous serons jugés (saint Jean de la Croix). Il nous faut donc reprendre courageusement la route, sous la conduite de l’Esprit Saint, pour une nouvelle étape sur le chemin de l’amour – chemin sur lequel Jésus-Christ Notre Seigneur nous précède et nous accompagne patiemment.
Pour les vieux soixante-huitards dont je suis, ce verset évoque les slogans « make love no war », et autre : « love and peace » de Woodstock ! Certes, comme nous chantions à l’époque : « all what we need is love » ; mais nous ne parlions pas vraiment de la même réalité ; car il y a un abîme entre l’ubris de l’affection amoureuse, et la sobre ivresse de l’agapè dont il est question sous la plume de saint Paul ! Le « feu » que Jésus est venu allumer sur terre (cf. Lc 12,49), n’a pas grand-chose à voir avec celui de la passion amoureuse, ni celui de la pulsion libidinale : il s’agit du Feu de l’Esprit Saint, qui tombera sur les Apôtres au matin de Pentecôte, comme fruit du « baptême » que Jésus annonce dans le même passage (Lc 12,50), c’est-à-dire de son immersion dans notre mort naturelle, pour nous donner part à sa Vie divine. Le verset précédant celui que nous méditons ne laisse à ce sujet aucun doute : « Veillez, tenez bon dans la foi, soyez des hommes, soyez forts » (1 Co 16,13). C’est dans la force de la vertu théologale de la foi que nous sommes exhortés à vivre dans l’amour. Dès lors la Parole de ce mois pourrait très bien s’énoncer comme suit : « Que tout ce que vous faites, soit accompli dans la lumière et la force de l’Esprit Saint », ce qui revient à dire : « Vivez sous la conduite de l’Esprit de Dieu » (Ga 5,16) de manière habituelle et permanente.
« Que tout chez vous se passe dans l’amour »
Mais comment savoir que nous sommes « dans l’amour », c’est-à-dire sous l’onction de l’Esprit Saint ? Jugez l’arbre à ses fruits nous répond Jésus (Mt 7,20) ; ceux de l’Esprit sont : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi » (Ga 5, 22-23). Sans doute avons-nous commencé à expérimenter la douceur de certains de ces fruits divins, mais nous n’oserons probablement pas prétendre que nous en vivons « de manière habituelle et permanente » ! Or les résistances que nous éprouvons, nous révèlent précisément la part obscure de nous-mêmes : le péché avec lequel nous sommes encore complices et qui nous empêche de vivre pleinement dans la grâce ; car « les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair » (Ga 5,17), dans un affrontement sans conciliation possible.
Inutile de nous mentir et de nous réfugier dans le déni ; inutile aussi de nous impatienter devant la lenteur de notre progression spirituelle : mieux vaut consentir à la pédagogie du divin Paraclet, car qui d’autre que lui peut nous révéler notre péché ? Jésus a en effet promis à ses disciples qu’il enverrait l’Esprit pour « convaincre le monde en ce qui concerne le péché, la justice et le jugement » (Jn 16, 7-11). L’Esprit Saint est donc chargé de nous persuader, par des arguments ajustés à notre situation existentielle propre, que nous sommes pécheurs. Non pour nous accuser – l’accusateur est toujours le Satan dans la Bible – mais pour que, prenant conscience de notre égarement, nous puissions accueillir la miséricorde que le Seigneur veut offrir aux pécheurs repentants.
« Que tout chez vous se passe dans l’amour »
Vérifions donc lesquels des fruits de l’Esprit ne se manifestent guère (ou trop peu) dans notre vie, et nous saurons où nous faisons obstacle à l’amour de charité. La tristesse, l’acédie, le trouble, l’impatience, la méchanceté (dureté de cœur), la malveillance (envie, jalousie, médisance, calomnie), le manque de confiance (en Dieu et dans les autres), l’orgueil (la vanité), les mouvements passionnels incontrôlés (colère, gourmandise, luxure), sont autant de symptômes de la maladie du péché, pour lesquels il nous faut d’urgence recourir au divin Thérapeute, afin qu’il y applique le baume de la Passion de Jésus : « c’est par ses blessures que nous avons été guéris » (1 P 2,24).
Pour éviter l’humiliation d’être pris publiquement en flagrant délit de l’un ou l’autre de ces vices, nous essayons en général de bien nous comporter en présence de personnes qui n’appartiennent pas au groupe restreint de nos proches – avec lesquels nous nous laissons hélas plus facilement aller ! Cette stratégie est injuste pour notre entourage et spirituellement stérile. Pourquoi ne profiterions-nous pas de notre cheminement communautaire, pour poursuivre en famille (ou dans notre voisinage pour ceux d’entre nous qui vivent seuls), ce que nous commençons en fraternité ? C’est en effet au quotidien, et donc au sein de nos foyers, de nos communautés, là où nous apparaissons tels que nous sommes, sans faux-semblants, marqués par notre histoire et nos parcours cabossés, que nous devons nous appliquer à mettre en pratique la « parole pour vivre » :
« Que tout chez vous se passe dans l’amour »
Ayons donc le souci de prolonger au jour le jour, le chemin de conversion et de guérison commencé en fraternité autour de ce verset. N’ayons pas peur de reconnaître notre fragilité devant notre époux, notre épouse, nos enfants : croyez-vous qu’ils ne s’en sont pas rendu compte depuis belle lurette ? L’humble aveu de notre faiblesse ne nous rabaisse pas à leurs yeux, bien au contraire : il est pour eux source d’espérance, puisque nous leur signifions ainsi que nous nous sommes mis en chemin, nous appuyant sur Celui à qui rien n’est impossible (Lc 7,20). Il y a même fort à parier qu’ils prieront généreusement pour hâter le jour où ils n’auront plus à subir nos écarts d’humeur ! Que c’est beau une famille dans laquelle chacun est pris en charge par tous, dans une humble supplication adressée à Dieu notre Père, le suppliant d’envoyer l’Esprit consolateur et sanctificateur sur nos pauvres humanités blessées, pour que nous puissions apprendre à aimer de charité.
Telle pourrait être la mise en application de la parole que nous méditons ce mois-ci : discerner avec notre entourage et confier à la miséricorde divine, nos comportements incompatibles avec les exigences de l’amour ; partager et célébrer en fraternité les victoires obtenues grâce à l’entraide familiale ; et nous encourager à poursuivre cet effort tout au long de l’année.
Nul doute qu’au terme de ce parcours, « tout chez nous se passe dans l’amour » !