ยซ Il nous faut passer par bien des รฉpreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. ยป
Effectivement, sโapprocher du Seigneur Jรฉsus implique toujours une participation ร ses souffrances. Dรจs lors, la tentation est grande de relire lโhistoire au prisme de la peur, attribuant ร Jรฉsus la responsabilitรฉ de nos malheurs. Quโavaient fait les saints innocents pour mรฉriter le glaiveย ? Leur seule faute nโรฉtait-elle pas dโรชtre nรฉs trop proches de lโenfant Jรฉsusย ? Et la Vierge, pour sโรชtre offerte ร Dieu, ne se vit-elle pas rรฉcompensรฉe dโun avenir sombre โ ยซย ton รขme sera traversรฉe dโun glaiveย ยป (Lc 2,35)ย ? Jacques et Jean, deux des plus intimes parmi les apรดtres, ont reรงu la promesseย : ยซย La coupe que je vais boire, vous la boirez.ย ยป (Mc 10,38) Tout homme souffre, mais il semble que les baptisรฉs, une fois marquรฉs de lโindรฉlรฉbile croix de lumiรจre, attirent sur eux lโรฉpreuve. Comment lโexpliquerย ? Saint Pierre rรฉpondย :
Bien-aimรฉs, ne trouvez pas รฉtrange le brasier allumรฉ parmi vous pour vous mettre ร lโรฉpreuveย ; ce qui vous arrive nโa rien dโรฉtrange. Dans la mesure oรน vous communiez aux souffrances du Christ, rรฉjouissez-vous, afin dโรชtre dans la joie et lโallรฉgresse quand sa gloire se rรฉvรฉlera. (1P 4,12-13)
Saint Paul ne sโexprime pas diffรฉremmentย : ยซย Toujours nous portons, dans notre corps, la mort de Jรฉsus, afin que la vie de Jรฉsus, elle aussi, soit manifestรฉe dans notre corps.ย ยป (2Co 4,10) Ainsi, toute douleur supportรฉe avec patience dans la foi sera comptรฉe comme marque du Christ. Rassurons-nous, Dieu ne permettra pas que ces tribulations nous soient fatalesย : Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brรปleras pas, la flamme ne te consumera pas.ย ยป (Isย 43,2) Elles sont mรชme enviables, ยซย car notre dรฉtresse du moment prรฉsent est lรฉgรจre par rapport au poids vraiment incomparable de gloire รฉternelle quโelle produit pour nous.ย ยป (2Coย 4,17)
Ces versets de lโรcriture bouleversent notre conception de la souffrance. Triste consรฉquence du pรฉchรฉ, elle devient un glorieux privilรจge des amis de Jรฉsus pour le salut. La souffrance de la persรฉcution est la premiรจre ร possรฉder cette vertu, mais la souffrance physique, involontaire, peut รฉgalement participer ร notre sanctification.
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Maladie, accident, blessure, โฆ la souffrance nโรฉpargne personneย : adultes et enfants, riches et pauvres, chrรฉtiens et paรฏens, saints et pรฉcheurs, โฆ mรชme les animaux sont atteints. Comment peut-elle devenir une participation ร la passion du Seigneurย ? Quelle audace nous la fait considรฉrer comme un moyen choisi par Dieu pour exercer sa misรฉricordeย ?
รcartons dโabord lโobjection dโun rapport malsain ร la souffrance qui serait le propre de la religion. Il est รฉvident que la douleur doit รชtre combattue. Benoรฎt XVI รฉcrivaitย :
Il faut certainement faire tout ce qui est possible pour attรฉnuer la souffranceย : empรชcher, dans la mesure oรน cela est possible, la souffrance des innocentsย ; calmer les douleursย ; aider ร surmonter les souffrances psychiques. Autant de devoirs aussi bien de la justice que de lโamour qui rentrent dans les exigences fondamentales de lโexistence chrรฉtienne et de toute vie vraiment humaine. (Spe Savi, 36)
Cependant personne nโest en mesure de tarir la source de la souffrance qui est le mal. La rรฉsurrection fait naรฎtre en nous lโespรฉrance dโune guรฉrison radicale, mais elle nโest pas encore pleinement accomplie. Quels que soient nos efforts pour soulager, la souffrance existe.
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รcartons ensuite une erreur ancienneย : qui souffre expierait de fait ses fautes et se rapprocherait immanquablement de Dieu. Ces bรฉnรฉfices, quand ils existent, ne proviennent pas tant de la souffrance que de la maniรจre dont elle est vรฉcue. Il est cependant possible dโavoir lโimpression contraire car lโusure engendrรฉe dans lโesprit par les longues souffrances crรฉe lโillusion dโune paix spirituelleย ; il sโagit souvent dโun calme sโapparentant ร la rรฉsignation. En effet, prisonnier de la souffrance, lโesprit se berce de la pensรฉe que Dieu est le seul recours et interprรจte cette langueur comme une paix spirituelle. Or lโavancรฉe spirituelle ne se mesure quโร lโexercice de la foi et de la charitรฉ. Cโest pourquoi le fruit de la souffrance dans lโรขme peut รชtre rรฉcoltรฉ bien plus tard (pensons ร une maladie invalidante), il peut mรชme demeurer invisible (pensons ร une douloureuse agonie ouvrant le cลur au Seigneur). La souffrance nโest donc pas en soi une garantie pour le salut. Au contraire, pour qui suit le Christ dโun cลur partagรฉ, elle peut anรฉantir les forces et รฉloigner de Dieu, comme en tรฉmoigne saint Jeanย : ยซย Les gens se mordaient la langue de douleur et ils blasphรฉmรจrent le Dieu du ciel sous le coup de leurs douleurs et de leurs ulcรจres, au lieu de se repentir de leurs agissements.ย ยป (Ap 16,10-11)
De soi, la souffrance rend รฉgoรฏste. Celui qui souffre est en effet contraint par un mouvement naturel de tout ramener ร soi, de donner la prรฉfรฉrence ร la sauvegarde de son bien-รชtre plutรดt quโร celui dโautrui. Lโindolence lui semble justifiรฉe et invincible. Lโirritation nโest pas combattue, paraissant excusรฉe par lโรฉtat de faiblesse. En somme, pour celui qui souffre, lโรฉgoรฏsme semble acceptableย ; le seul bรฉnรฉfice immรฉdiat de cette รฉpreuve est de prendre conscience de la faiblesse de notre nature. Mais quโen est-il de lโรฉvangile du Christย ?
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Le travail de lโรฉvangile consiste ร nous dรฉtourner de cet enfermement. Il fait prendre conscience du Christ en ses souffrances, il rappelle ร celui qui souffre quโil fait partie dโune communautรฉ de souffrance oรน bien dโautres, en leurs douleurs, se tournent avec lui vers le Seigneur. Le fondement de cette ouverture est la contemplation de Jรฉsus ร Gethsรฉmani, oรน le Seigneur trouve dans lโรฉpreuve une maniรจre dโunir sa volontรฉ ร celle du Pรจre (cf. Mt 26,39). Les souffrances du Christ ont รฉtรฉ extrรชmes, mais il a trouvรฉ en sa passion le moyen dโรชtre aux affaires de son Pรจre comme jamais dans sa vie humaine. Il pria pour ceux qui lโexรฉcutaient (cf. Lc 23,34), il entoura sa mรจre de la plus tendre attention (cf. Jn 19,26), il accueillit le larron avec bienveillance (cf. Lc 23,43). Mรชme sa demande ยซย Jโai soifย ยป (Jn 19,28) exprimait la conscience claire quโil accomplissait les รcritures. Ainsi, le Christ endura ses souffrances sans retour sur soi, lโesprit tournรฉ vers le Pรจre, source de sa force, et vers le bien des hommes.
La mรฉditation du chemin de croix, ne devrait pas, en ce sens, รชtre limitรฉe ร une dรฉvotion pour le temps du carรชme, mais elle devrait nous accompagner toute lโannรฉeย : comment contempler de telles dispositions sans รชtre portรฉ ร les imiterย ?
Finalement, de telles souffrances apparaissent comme le moyen le plus appropriรฉ โ non pas nรฉcessaire โ pour se conformer au mystรจre de la vie filiale que le Christ apprit par ses souffrances (cf. He 5,8.) Quel meilleur alliรฉ que la souffrance pour dรฉvoiler la vacuitรฉ de ce monde et de ses attraitsย ? Nโest-ce pas ce qui explique pourquoi saint Paul, dรฉjร affectรฉ par les tribulations et lโopposition, ajouta ร ses รฉpreuves une volontaire mortification de la chairย ? La perte de la vue (cf. Ac 9,9), lโรฉcharde dans la chair (cf. Ac 12,7), les assauts de Satan (cf. 1Thย 2,18) apprirent ร lโapรดtre des Nations que lโaffliction serait son quotidien et la garantie de son abandon entre les mains du Pรจre. Les souffrances ont revรชtu lโattrait dรฉsirable des moyens dโobtenir ce quโon ne peut se donner soi-mรชme, elles ont suscitรฉ la joie lorsquโelles ont ouvert son cลur ร la plรฉnitude de la grรขce. Aucun saint nโa aimรฉ souffrir, mais ils ont tous prรฉfรฉrรฉ la souffrance aux facilitรฉs de la vie qui fortifient lโรฉgo et รฉtouffent la soif de Dieu. Conscients que rien nโest dรฉtestable comme le pรฉchรฉ, ils ont aimรฉ les souffrances dans la mesure oรน elles leur ont donnรฉ accรจs ร lโรฉtat de grรขce quโils convoitaient.
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La souffrance viendra, peu ou prou, tรดt ou tard. Pour beaucoup dโentre nous, elle est dรฉjร une compagne. Elle revรชtira ses joyeux attraits ร nos yeux entรฉnรฉbrรฉs dans la mesure oรน nous aurons dรฉcidรฉ de renoncer ร notre volontรฉ propre. Mais il nous faudra encore percevoir que lโamour ressemble davantage ร la souffrance quโaux douceurs que nous nous plaisons ร imaginer, nous aurons ร apprendre comment lโagonie ร Gethsรฉmani est plus prรจs du bonheur parfait que les exaltations sensibles dont nous rรชvons. Benoรฎt XVI met ainsi en lumiรจre lโรฉtonnante familiaritรฉ entre la souffrance et lโamourย :
Le ยซย ouiย ยป ร lโamour est aussi source de souffrance, parce que lโamour exige toujours de sortir de mon moi, oรน je me laisse รฉmonder et blesser. Lโamour ne peut nullement exister sans ce renoncement qui mโest aussi douloureux ร moi-mรชme, autrement il devient pur รฉgoรฏsme et, de ce fait, il sโannule lui-mรชme comme tel. (Spe Salvi, 38)
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