« Et toi petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ;
tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins,
pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés »
(Lc 1, 76-77)
Nous avions souligné que le verset 72 – « amour qu’il montre envers nos Pères, mémoire de son Alliance sainte » – constitue le centre du Cantique, autour duquel s’ordonnent les autres thèmes de manière symétrique. Ainsi de part et d’autre du verset 72, les versets 71 et 73-74 nous parlent du salut que Dieu nous offre ; et les versets 70 et 76 relatent le rôle des prophètes.
Nous verrons dans notre prochaine méditation que le verset final (v. 78), annonçant la « visite de l’Astre d’en-haut », fait écho symétriquement au v. 68 où il est question de « Dieu qui visite et rachète son peuple ».
Après avoir annoncé jusqu’ici l’avènement du Messie tant attendu, Zacharie revient à la situation concrète qui fut l’occasion du Cantique – à savoir la naissance de son fils – et dévoile dans ces deux versets la mission particulière de Jean dans le dessein de Dieu. Il sera non seulement « prophète du Très-Haut », dans la ligne des « prophètes des temps anciens » (1,70), mais il sera le dernier et le plus grand parmi eux, puisqu’il lui revient de préparer la venue du « Seigneur », et comme la suite de l’Évangile nous l’apprendra, de le désigner comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29).
« Rempli d’Esprit Saint » (Lc 1,67), Zacharie reconnait maintenant la vérité de la parole de l’Ange Gabriel, qu’il avait mise en doute lors de sa vision dans le Temple :
Lc 1, 13-17 : « L’ange lui dit : “Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée : ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. Tu seras dans la joie et l’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira pas de vin ni de boisson forte, et il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère ; il fera revenir de nombreux fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; il marchera devant, en présence du Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie, pour faire revenir le cœur des pères vers leurs enfants, ramener les rebelles à la sagesse des justes, et préparer au Seigneur un peuple bien disposé”. »
Celui qui est encore désigné comme « petit enfant », n’est autre que le « messager » annoncé par la bouche du prophète Malachie :
Ml 3,1 : « Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient, – dit le Seigneur de l’univers. »
Quand on se souvient qu’Israël était depuis longtemps sans prophète (1 Mac 4,46 ; 9,27), on comprend que la venue de Jean était un événement extraordinaire. Sa mission est celle d’un Précurseur, c’est-à-dire celui qui invite à la conversion en vue de l’accueil de « l’Astre d’en-haut » (v. 78), conformément à la proclamation de la parole transmise par le prophète Isaïe :
Is 40, 3-5 : « Une voix proclame : “Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé”. »
C’est bien ce que nous confirment les Évangiles :
Lc 3, 4-6 : « La parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie. Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : “Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ; et tout être vivant verra le salut de Dieu”. »
Le ministère de Jean le Précurseur sera donc avant tout celui de la prédication : il est « la voix qui crie dans le désert ». La voix proclame la Parole mais, dans notre cas, la Parole de Dieu précède, puisque c’est elle qui « fut adressée dans le désert à Jean, fils de Zacharie » (Lc 3,2). Son rôle est donc totalement subordonné à celui du Christ. Saint Augustin commente :
« Jean est la voix, mais le Seigneur, au commencement, était le Verbe. Jean est une voix dans le temps ; le Christ était au commencement la Parole éternelle. Enlève la Parole, que devient la voix ? Vidée de tout sens, elle n’est que vain bruit. Sans la Parole, la voix frappe l’oreille, elle n’édifie pas le cœur.
Si Jean est la voix, et le Christ la Parole ou le Verbe, il s’ensuit que le Christ est antérieur à Jean dans le sein de Dieu, et que Jean est antérieur au Christ parmi nous. » (Discours 293, 3 : PL, 38, 1328).
« …pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés »
L’expression « connaissance du salut » ne se trouve pas comme telle dans l’Ancien Testament, mais son sens ne fait aucun doute : Jean est chargé de nous faire connaitre « la force qui nous sauve », que Dieu a fait surgir « dans la maison de David, son serviteur » (Lc 1,69). Or Dieu nous offre ce salut gratuitement « par la rémission de nos péchés », c’est-à-dire par l’action rédemptrice de son Messie, qui « nous arrache à l’ennemi, à la main de tous nos oppresseurs » (1, 71.74), et nous réintroduit dans « l’Alliance Sainte » (v. 72).
Ac 4, 10-12 : « Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »
Ac 5,31 : « C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. »
Ac 13, 38-39 : « Sachez-le donc, frères, grâce à Jésus, le pardon des péchés vous est annoncé ; alors que, par la loi de Moïse, vous ne pouvez pas être délivrés de vos péchés ni devenir justes, par Jésus, tout homme qui croit devient juste. »
Certes le Précurseur fera retentir dans le désert l’exhortation à la conversion : « Préparez le chemin du Seigneur » ; mais si le salut est « donné à connaitre », alors ce n’est pas à nous que reviennent les travaux de terrassement assez impressionnants dont parle l’Evangile : rectifier les sentiers, combler les ravins, abaisser les montagnes et collines. Comme le précise le prophète Baruch, le Seigneur prend tout en charge :
Ba 5,7 : « Dieu a décidé que les hautes montagnes et les collines éternelles seraient abaissées, et que les vallées seraient comblées : ainsi la terre sera aplanie, afin qu’Israël chemine en sécurité dans la gloire de Dieu. »
Il nous faut certes manifester notre volonté de « préparer le chemin du Seigneur », mais c’est lui qui assure le « gros œuvre », comme nous le voyons aux jours de la Passion :
Ep 2, 4-8 : « Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ : c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Avec lui, il nous a ressuscités et il nous a fait siéger aux cieux, dans le Christ Jésus. Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. »
« Connaitre le salut par la rémission des péchés »
…c’est faire l’expérience concrète (« existentielle ») de la miséricorde de Dieu au cœur de nos fragilités, de nos lâchetés, de nos trahisons. Il est bon de méditer ces versets pour nourrir notre espérance :
Is 1,18 : « Venez, et discutons – dit le Seigneur. Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront aussi blancs que neige. S’ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme de la laine. »
Col 2,13 : « Vous étiez des morts, parce que vous aviez commis des fautes et n’aviez pas reçu de circoncision dans votre chair. Mais Dieu vous a donné la vie avec le Christ : il nous a pardonné toutes nos fautes. »
1 Jn 1,9 : « Si nous reconnaissons nos péchés, lui qui est fidèle et juste va jusqu’à pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice. »
C’est l’expérience qui a propulsé tant de chrétiens sur le chemin de la sainteté ; rappelons-nous ces paroles de Sainte Thérèse de Lisieux :
« On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance ; je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent. Oui je le sens, quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais, le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui. »
En ce mois du Sacré Cœur, sachons lui rendre grâce pour la gratuité de son Amour miséricordieux, et tâchons de lui rendre, autant que nous le pouvons, amour pour amour ; puissions-nous ainsi consoler son Cœur « de tant d’indifférence et de mépris » (Jésus à Sainte Marguerite-Marie Alacoque) dont il a à souffrir dans le monde d’aujourd’hui.