Famille de Saint Joseph

« Amour qu’il montre envers nos pères, … » (Lc 1, 72-73a)

par | 1 avril 2016

Nous arrivons au cœur du Benedictus. Zacharie explicite la raison profonde pour laquelle Dieu vient visiter son peuple par un Messie Médiateur de salut : c’est en raison de son amour, qui le conduit à s’engager par serment dans une Alliance éternelle. Et réciproquement : l’amour miséricordieux dont Dieu fait preuve tout au long de l’histoire, se fonde sur cette Alliance indéfectible avec Abraham.

Il vaut sans doute mieux garder la traduction littérale : « Faire miséricorde » (plutôt que « montrer de l’amour ») car cette expression relève davantage du vocabulaire de la théologie de l’Alliance.  Cette miséricorde bienveillante était déjà chantée par Marie dans son Magnificat (Lc 1, 50.54). Elle désigne une disposition permanente en Dieu, qui prend spontanément la tonalité de la miséricorde lorsque le partenaire de l’Alliance se trouve dans l’épreuve – même si celui-ci est responsable du malheur qui l’atteint. Elle est la source d’une bonté permanente, « car Dieu ne peut se renier lui-même » (2 Tim 2,13). Dans son éternel présent, le Très-Haut « se souvient »[1] de son engagement solennel.

« Mémoire de son alliance sainte »

Nous ne parvenons pas à « retenir » les événements : ils s’écoulent inexorablement, et nous n’en gardons qu’un pâle souvenir. Telle n’est pas la « mémoire » de Dieu. Le sage Qohélet précise que « Dieu fait revenir ce qui est passé » (3,15). Tout ce qui fuit, ce qui glisse dans le passé et l’oubli, Dieu le saisit, le garde, le recueille dans son éternel présent. En Dieu, rien n’est jamais perdu. Il se souvient des personnes, des événements, de son Alliance.

Ce souvenir – ou plus précisément ce « mémorial » – n’est pas, dans la Bible, une prise de conscience simplement intellectuelle : il est chargé d’efficacité. En ce sens, le verbe « se souvenir » est parfois synonyme de « visiter ». Quand la Bible affirme que Dieu se souvient des obligations de son Alliance, elle entend dire qu’Il intervient pour libérer son peuple et le rétablir dans ses droits. Le souvenir de Dieu n’est alors rien d’autre que l’expression concrète de sa fidélité :

Ps 104(105), 7-10 : « Le Seigneur, c’est lui notre Dieu : ses jugements font loi pour l’univers. Il s’est toujours souvenu de son alliance, parole édictée pour mille générations : promesse faite à Abraham, garantie par serment à Isaac, érigée en loi avec Jacob, alliance éternelle pour Israël. »

Ps 110(111), 4-5 : « Le Seigneur est tendresse et pitié. Il a donné des vivres à ses fidèles, gardant toujours mémoire de son alliance. »

Ex 2,24 : « Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. »

Ex 6,5 : « J’ai entendu la plainte des fils d’Israël réduits en esclavage par les Égyptiens, et je me suis souvenu de mon alliance. »

Comme le dit la Prière Eucharistique n° IV :

« Dans ta miséricorde, tu es venu en aide à tous les hommes pour qu’ils te cherchent et puissent te trouver. Tu as multiplié les alliances avec eux, et tu les as formés, par les prophètes, dans l’espérance du salut. »

Tel est le sens de notre vie : chercher Dieu, le trouver et vivre en communion d’amour avec lui. Nous « souvenons-nous » de cette orientation profonde de notre existence ?

« Se souvenir de Dieu » signifie dans le langage monastique, se tenir sous son regard, en sa présence, quel que soit le lieu où nous nous trouvons ou l’activité que nous menons. Un tel souvenir se cultive, car spontanément nous sommes plutôt entraînés dans la spirale centrifuge qui nous disperse dans l’extériorité, dans les distractions, dans l’oubli.

Entretenir la memoria Dei suppose faire effort pour se recueillir, pour demeurer à l’écoute de la voix de l’Hôte intérieur, l’Esprit de vérité qui nous ouvre à l’intelligence de « toute Parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3 ; Mt 4,4).

Ce n’est pas pour rien que l’invitation à se souvenir est récurrente dans la Bible, à commencer par le « Shema Israël » (Dt 6,4), qui est invitation à l’écoute et à la mémoire de la fidélité de Dieu. Mais bien d’autres passages seraient à citer :

Dt 4, 9-10 : « Prends garde à toi : garde-toi de jamais oublier ce que tes yeux ont vu ; ne le laisse pas sortir de ton cœur un seul jour. Enseigne-le à tes fils, et aux fils de tes fils. Le jour où tu étais debout en présence du Seigneur ton Dieu au mont Horeb, ce jour-là le Seigneur m’avait dit : “Rassemble le peuple auprès de moi, je leur ferai entendre mes paroles pour que, tout au long de leur vie sur la terre, ils apprennent à me craindre et qu’ils l’apprennent aussi à leurs fils”. »

Ap 2,5 : « Rappelle-toi d’où tu es tombé, convertis-toi, reviens à tes premières actions. Sinon je vais venir à toi et je délogerai ton chandelier de sa place, si tu ne t’es pas converti. »

2 Tim 2,8 : « Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David : voilà mon évangile. »

Faisons-nous mémoire de la fidélité de Dieu et des multiples signes de sa bienveillance, dont nous avons bénéficié tout au long de notre vie ?

Cette mémoire est-elle « efficace » : change-t-elle notre regard sur les événements et notre façon d’agir au cœur du monde ?

« Serment juré à notre père Abraham »

Dieu en avait fait le serment à nos Pères dans la foi : il leur apporterait le salut.

He 6, 16-17 : « Les hommes prêtent serment par un plus grand qu’eux, et le serment est entre eux une garantie qui met fin à toute discussion ; Dieu a donc pris le moyen du serment quand il a voulu montrer aux héritiers de la promesse, de manière encore plus claire, que sa décision était irrévocable. »

L’Alliance, la berith, est un pacte, un serment, un engagement éternel par lequel Dieu se lie à son peuple.

Gn 26,3 : « Je serai avec toi et je te bénirai, car, à toi et à ta descendance, je donnerai tous ces pays. Je tiendrai le serment que j’ai prêté à Abraham, ton père. »

Jr 11,5 : « Je tiendrai le serment juré à vos pères de leur donner un pays ruisselant de lait et de miel, comme vous le voyez aujourd’hui. »

Dt 7,8 : « C’est par amour pour vous, et pour tenir le serment fait à vos pères, que le Seigneur vous a fait sortir par la force de sa main, et vous a rachetés de la maison d’esclavage et de la main de Pharaon, roi d’Égypte. »

Ps 105, 7-9 : « Le Seigneur, c’est lui notre Dieu : ses jugements font loi pour l’univers. Il s’est toujours souvenu de son alliance, parole édictée pour mille générations : promesse faite à Abraham, garantie par serment à Isaac, érigée en loi avec Jacob, alliance éternelle pour Israël. »

Et Dieu est fidèle : en son Fils Jésus-Christ, il a pleinement accompli ce qu’il avait promis.

« Amour qu’il montre envers nos pères,

mémoire de son alliance sainte,

serment juré à notre père Abraham »

C’est par fidélité à son Alliance que Dieu, « à la plénitude des temps, a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi de Moïse, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et pour que nous soyons adoptés comme fils » (Ga 4, 4-5). Son amour se manifeste pleinement dans le Mystère de l’Incarnation rédemptrice, par laquelle « il fait de nous ses fils adoptifs par Jésus le Christ » (Ep 1,5).

« La preuve que Dieu nous aime, écrit Saint Paul, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,8). Mais Dieu « s’est souvenu » de son Fils et l’a ressuscité au matin de Pâques ; il l’a exalté par sa droite (Ac 5,31), entraînant avec lui dans la gloire tous ceux qui « ont espéré dans le Christ » (Ep 1,12).

Désormais, Jésus est « l’Agneau, debout, comme immolé » (Ap 5,6) qui demeure sans cesse sous le regard adorant du Père. Son Corps livré, son Sang versé constituent « l’Alliance nouvelle et éternelle » (Prière de la consécration eucharistique). Sans cesse offerts dans chaque Eucharistie, le Pain et le Vin consacrés constituent le mémorial de sa Pâque : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22,19 ; 1 Co 11,24).

En Jésus mort et ressuscité, « tout est accompli » (Jn 19,30) : « Dieu nous a réconciliés avec lui, dans le corps du Christ, son corps de chair, par sa mort, afin de nous introduire en sa présence, saints, immaculés, irréprochables » (Col 1,22).

« Soyons donc dans la joie, exultons, et rendons gloire à Dieu ! Car elles sont venues, les Noces de l’Agneau, et pour lui son épouse a revêtu sa parure » (Ap 19,7).

[1] Nous avions souligné que Zacharie signifie « Dieu se souvient » (zakar : se souvenir).

Vous aimerez aussi