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En ce mois de juin 1, traditionnellement consacré au Sacré Cœur de Jésus, nous méditerons sur l’humilité et la douceur qui devraient caractériser les relations entre « les frères dans le Christ, membres fidèles du peuple saint » (Col 1, 2).
La parole de Jésus : « Je suis doux et humble de Cœur » (Mt 11, 28-31) à laquelle se réfère implicitement saint Paul, est à vrai dire surprenante. Nous savons que « Je suis » traduit le « Ego eimi » grec, traduction du Tétragramme sacré Yahvé. Jésus caractérise donc Dieu son Père – dont il est l’expression parfaite (Col 1, 15) – par la douceur et l’humilité de son Cœur, c’est-à-dire de son Amour. Nous pourrions paraphraser Jésus comme suit : « Je vous révèle que Dieu votre Père est un Cœur brûlant d’amour, qui vous aime, d’un amour humble et doux ». Comment ne pas être bouleversé par la révélation d’un tel mystère ? Et puisque le Seigneur veut faire de nous ses fils, essayons donc, à la lumière du verset proposé, de nous ouvrir à son don, et de nous laisser recréer « à son image et à sa ressemblance » (Gn 1, 26).
« Revêtez votre cœur de tendresse et de bonté,
d’humilité, de douceur, de patience » (Col 3, 12)
Il est notoire que saint Paul nous invite à « revêtir notre cœur » de ces cinq sentiments, dont nous désirons tous bénéficier, et que nous aimerions voir fleurir dans notre entourage. S’il nous faut nous en revêtir, c’est donc (1) que nous ne les possédons pas naturellement, et (2) qu’ils nous sont proposés sous forme d’un vêtement. Nous savons (pour avoir déjà abordé ce symbole auparavant) que le vêtement signifie l’homme nouveau, recréé en Christ ; ou encore l’humanité très sainte de Jésus, qui nous est donnée en partage pour que nous puissions vivre « par lui, avec lui, en lui », dans l’Esprit : « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27). Ce n’est donc pas de notre propre fond que nous sommes supposés tirer les sentiments énumérés, mais il s’agit de nous disposer à recevoir ces vertus de Jésus, afin qu’elles triomphent du chiendent des vices que produit notre nature corrompue. La tendresse s’oppose à la dureté et à l’indifférence ; la bonté à la malice et à la malveillance ; l’humilité à l’orgueil et à la vanité ; la douceur à la colère et à la violence ; la patience à l’impatience et à l’intransigeance. Un rapide examen de conscience nous permettra sans aucun doute de constater que nous sommes effectivement cruellement en manque de ces vertus pour redresser notre spontanéité naturelle. Mais la disposition centrale, l’humilité, ne consiste-t-elle pas justement à accepter de tout recevoir de Jésus comme lui-même reçoit tout de son Père, dans la conscience qu’en dehors du Christ, nous ne pouvons rien faire (Jn 15, 5) ?
« Revêtez votre cœur de tendresse et de bonté,
d’humilité, de douceur, de patience » (Col 3, 12)
Littéralement il faudrait traduire : « Revêtez-vous d’entrailles de tendresse » ou de « miséricorde ». Le rapprochement entre les entrailles, la miséricorde et la tendresse, évoque la « carte de visite » que Dieu donne à Moïse, lorsque ce dernier lui demande de lui révéler son visage : « Le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité, qui garde sa fidélité, supporte faute, transgression et péché » (Ex 34, 6). Les sentiments que nous sommes invités à faire nôtres procèdent de l’Eternel comme de leur Source.
Par ailleurs, le terme entrailles, qui désigne le siège de nos dispositions les plus intimes, réfère aussi à l’utérus : il s’agit de « renaître d’eau et d’Esprit » pour pouvoir accéder à la vie filiale et fraternelle qui devrait être la condition « normale » du chrétien. N’est-il pas vrai que dans le domaine spirituel, nous sommes tous « des enfants nouveau-nés » (1 P 2, 2) ? C’est donc ainsi qu’il faudrait nous contempler mutuellement, quel que soit l’âge de nos artères. Spontanément nous avons tous plus de tendresse, de bonté, de douceur, de patience envers les tout-petits, précisément parce qu’ils ne sont qu’au début de leur cheminement, et que nous n’exigeons pas d’eux ce qu’ils ne pourront acquérir que progressivement, à mesure qu’ils grandissent et mûrissent. Avouons-le bien simplement : n’est-ce pas le regard que nous espérons de nos proches ? Un regard qui ne nous enferme pas dans nos limites, mais qui nous invite à oser avancer malgré notre faiblesse ; un regard qui nous garde sa confiance alors même que nous sommes pris en défaut ; bref : un regard d’espérance, qui seul peut nous faire naître au meilleur de nous-mêmes.
Si tel est le regard que nous attendons de nos frères, pourquoi ne pas prendre l’initiative de le leur offrir ? « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi, voilà ce que dit toute l’Ecriture : la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12).
« Revêtez votre cœur de tendresse et de bonté,
d’humilité, de douceur, de patience » (Col 3, 12)
La TOB traduit par « revêtez des sentiments de compassion » ; il est dommage que l’expression perde la notion de tendresse. Ce n’est certes pas trahir saint Paul que de lire : « revêtez des sentiments de tendre compassion » ou « de tendresse compatissante ». Compatir signifie étymologiquement : souffrir (patire) avec (cum) l’autre, faire nôtre sa souffrance, et dès lors : porter son fardeau avec tendresse – ce qui implique beaucoup d’humilité, de douceur et de patience. De l’humilité car une telle attitude suppose que nous nous mettions gratuitement au service de ce frère ; de la douceur qui caractérise la tendresse, et de la patience, lui consacrant le temps qu’il faudra, sans nous rebeller. N’est-ce pas l’attitude du Christ à notre égard ?
En ce mois où le Seigneur se plait à déverser ses grâces en abondance dans les cœurs qui s’ouvrent à sa miséricorde, plongeons notre regard dans le sien pour y découvrir que nous sommes aimés inconditionnellement ; puisons dans son Cœur la tendresse, la bonté, la douceur, la patience dont nous avons vitalement besoin pour ne pas désespérer de nous-mêmes. Nous pourrons alors porter ce même regard sur notre entourage et vivre dans la vérité de l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous. Ce n’est qu’en partageant ces humbles vertus jour après jour, que nous pourrons poursuivre notre route ensemble dans la paix et la joie, malgré notre faiblesse.
Notes :
- Pour ceux d’entre vous qui désirent intégrer ce verset dans une lectio divina plus étendue, les quinze premiers versets du chapitre 3 de la lettre aux Colossiens peuvent servir de contexte. [retour]