Annick de Souzenelle, Le symbolisme du corps humain
Il est impressionnant de constater comment un auteur aussi renommé qu’Annick de Souzenelle, reconnue pour sa compétence dans le domaine de la kabbale, tente elle aussi désespérément d’intégrer le christianisme dans sa vision naturaliste. C’est à croire que les ténors du nouvel âge ont un compte à régler avec leurs racines culturelles judéo-chrétiennes ! Il est vrai que le propre de toute pensée qui s’érige en système, consiste précisément à vouloir intégrer toutes les doctrines – quitte à les défigurer – en les faisant passer sous les fourches caudines de ses axiomes.
Partant de l’a priori que l’Evangile ne peut rien dire d’autre que les naturalismes, A. de Souzenelle cherche et croit trouver dans les récits néo-testamentaires des principes complémentaires analogues au yin et au yang. Il « suffit » pour cela de gommer l’aspect historique des Evangiles et de réduire les personnages à des représentations anthropomorphiques de ces fameux co-principes.
Que pour le christianisme l’historicité soit un caractère essentiel de la Révélation, qui nous parle d’une intervention bien réelle du Verbe de Dieu au cœur de l’histoire, ne semble nullement gêner notre auteur : elle n’a de toute évidence rien à recevoir de la Tradition de l’Eglise et réinterprète tranquillement nos écrits sacrés sans tenir compte de vingt siècles de réflexion chrétienne. Ainsi donc, Jean le Baptiste et Jean l’Evangéliste se trouvent réduits – à moins que ce soit une promotion ? – à des figures des deux extases du temps, le passé et l’avenir, qui encadrent l’instant présent, incarné par le personnage symbolique du Christ. Mme de Souzenelle ne semble même pas se rendre compte de la contradiction qui consiste à représenter cet « instant » par un personnage dont l’Evangile décrit abondamment les faits et gestes, alors qu’elle affirme que « le seul visage qui ne pouvait être représenté était celui du présent, l’insaisissable, l’immatériel, l’intemporel »
. Mais sans doute les hagiographes avaient-ils perdu la connaissance des mystères, que possédaient encore les sages de « l’Antiquité, temps historique bien antérieur
– et donc bien supérieur – au christianisme »
? Sous-jacente à cette thèse – dont il faut bien avouer qu’elle est d’un simplisme déroutant au cœur d’un ouvrage dont les commentaires de la kabbale, répétons-le, ne manquent pas d’intérêt – nous retrouvons encore et toujours l’axiome de la tradition primordiale, à laquelle tous les fondateurs religieux seraient venus puiser leur sagesse, et qui enseigne (bien sûr !) le naturalisme préconisé par nos auteurs. A. de Souzenelle diagnostique même que « l’Eglise se détruit »
parce qu’elle aurait quitté cet axe traditionnel. Renvoyant dos à dos intégristes et progressistes, elle risque la définition suivante : « La Tradition n’est le fruit ni d’un passé, ni d’un futur ; elle est ce temps prophétique qui plonge dans l’intemporel et s’incarne dans l’instant »
. Que cette définition convienne à la tradition gnostique prétendument universelle, j’en conviens. Mais telle n’est pas la conception de la Tradition chrétienne. Celle-ci ne plonge pas dans l’intemporel et l’anhistorique, incarnant dans l’instant une gnose désincarnée et dogmatique ; mais elle constitue le lien vivant qui relie le croyant d’aujourd’hui à l’événement historique et salvifique de la Pâque de Jésus-Christ, rendu présente et agissante dans la vie du croyant par l’accueil de la Parole et l’action de l’Esprit.