Famille de Saint Joseph

Une lecture symbolique de la vie du Christ

par | 9 fรฉvrier 2005

ยซ Ce que les chinois appellent yin et yang, ce que les hรฉbreux ou toutes autres religions nomment Energies-Principes, sont, dans la tradition chrรฉtienne, des personnes vivantes, incarnant la dualitรฉ. Cโ€™est ainsi que dans les Evangiles, nous voyons se dessiner une fresque de personnages divers venant deux par deux entourer le Christ. Nous trouvons ainsi deux Jean : Jean le Baptiste et Jean lโ€™Evangรฉliste. Dans lโ€™Antiquitรฉ, temps historique bien antรฉrieur au christianisme, รฉtait vรฉnรฉrรฉ le dieu Janus. Reprรฉsentรฉ sous la forme dโ€™une tรชte unique offrant deux visages, lโ€™un de vieillard, lโ€™autre jeune homme, il รฉtait fรชtรฉ aux deux solstices du cycle de lโ€™annรฉe. Ce Janus Bifrons symbolisait le temps : le passรฉ par son visage de vieillard, lโ€™avenir par celui de lโ€™homme jeune. Le seul visage qui nโ€™รฉtait pas et ne pouvait รชtre reprรฉsentรฉ รฉtait celui du prรฉsent, lโ€™insaisissable, lโ€™immatรฉriel, lโ€™intemporel. Entourรฉ de ces deux Jean, Jean le Baptiste, le โ€œ vieil โ€ homme, lโ€™homme en โ€œ tunique de peau โ€, et Jean lโ€™Evangรฉliste, le devenir, celui dont le Maรฎtre parle si mystรฉrieusement comme sโ€™il signifiait que celui-lร  dรฉjร  รฉtait accompli (cf. Jn 21, 22-23), Christ est โ€œ lโ€™instant โ€. ยป

Annick de Souzenelle, Le symbolisme du corps humain

Il est impressionnant de constater comment un auteur aussi renommรฉ quโ€™Annick de Souzenelle, reconnue pour sa compรฉtence dans le domaine de la kabbale, tente elle aussi dรฉsespรฉrรฉment dโ€™intรฉgrer le christianisme dans sa vision naturaliste. Cโ€™est ร  croire que les tรฉnors du nouvel รขge ont un compte ร  rรฉgler avec leurs racines culturelles judรฉo-chrรฉtiennes ! Il est vrai que le propre de toute pensรฉe qui sโ€™รฉrige en systรจme, consiste prรฉcisรฉment ร  vouloir intรฉgrer toutes les doctrines – quitte ร  les dรฉfigurer – en les faisant passer sous les fourches caudines de ses axiomes.

Partant de lโ€™a priori que lโ€™Evangile ne peut rien dire dโ€™autre que les naturalismes, A. de Souzenelle cherche et croit trouver dans les rรฉcits nรฉo-testamentaires des principes complรฉmentaires analogues au yin et au yang. Il ยซ suffit ยป pour cela de gommer lโ€™aspect historique des Evangiles et de rรฉduire les personnages ร  des reprรฉsentations anthropomorphiques de ces fameux co-principes.

Que pour le christianisme lโ€™historicitรฉ soit un caractรจre essentiel de la Rรฉvรฉlation, qui nous parle dโ€™une intervention bien rรฉelle du Verbe de Dieu au cล“ur de lโ€™histoire, ne semble nullement gรชner notre auteur : elle nโ€™a de toute รฉvidence rien ร  recevoir de la Tradition de lโ€™Eglise et rรฉinterprรจte tranquillement nos รฉcrits sacrรฉs sans tenir compte de vingt siรจcles de rรฉflexion chrรฉtienne. Ainsi donc, Jean le Baptiste et Jean lโ€™Evangรฉliste se trouvent rรฉduits – ร  moins que ce soit une promotion ? – ร  des figures des deux extases du temps, le passรฉ et lโ€™avenir, qui encadrent lโ€™instant prรฉsent, incarnรฉ par le personnage symbolique du Christ. Mme de Souzenelle ne semble mรชme pas se rendre compte de la contradiction qui consiste ร  reprรฉsenter cet ยซ instant ยป par un personnage dont lโ€™Evangile dรฉcrit abondamment les faits et gestes, alors quโ€™elle affirme que ยซ le seul visage qui ne pouvait รชtre reprรฉsentรฉ รฉtait celui du prรฉsent, lโ€™insaisissable, lโ€™immatรฉriel, lโ€™intemporel ยป. Mais sans doute les hagiographes avaient-ils perdu la connaissance des mystรจres, que possรฉdaient encore les sages de ยซ lโ€™Antiquitรฉ, temps historique bien antรฉrieur โ€“ et donc bien supรฉrieur – au christianisme ยป ? Sous-jacente ร  cette thรจse – dont il faut bien avouer quโ€™elle est dโ€™un simplisme dรฉroutant au cล“ur dโ€™un ouvrage dont les commentaires de la kabbale, rรฉpรฉtons-le, ne manquent pas dโ€™intรฉrรชt – nous retrouvons encore et toujours lโ€™axiome de la tradition primordiale, ร  laquelle tous les fondateurs religieux seraient venus puiser leur sagesse, et qui enseigne (bien sรปr !) le naturalisme prรฉconisรฉ par nos auteurs. A. de Souzenelle diagnostique mรชme que ยซ lโ€™Eglise se dรฉtruit ยป parce quโ€™elle aurait quittรฉ cet axe traditionnel. Renvoyant dos ร  dos intรฉgristes et progressistes, elle risque la dรฉfinition suivante : ยซ La Tradition nโ€™est le fruit ni dโ€™un passรฉ, ni dโ€™un futur ; elle est ce temps prophรฉtique qui plonge dans lโ€™intemporel et sโ€™incarne dans lโ€™instant ยป. Que cette dรฉfinition convienne ร  la tradition gnostique prรฉtendument universelle, jโ€™en conviens. Mais telle nโ€™est pas la conception de la Tradition chrรฉtienne. Celle-ci ne plonge pas dans lโ€™intemporel et lโ€™anhistorique, incarnant dans lโ€™instant une gnose dรฉsincarnรฉe et dogmatique ; mais elle constitue le lien vivant qui relie le croyant dโ€™aujourdโ€™hui ร  lโ€™รฉvรฉnement historique et salvifique de la Pรขque de Jรฉsus-Christ, rendu prรฉsente et agissante dans la vie du croyant par lโ€™accueil de la Parole et lโ€™action de lโ€™Esprit.

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