Une histoire rocambolesque
Dans un style journalistique qui n’est pas désagréable, N. Notovitch décrit le périple farci d’équipées en tout genre, qui le mène au monastère de Moulbek. Dans la conversation qu’il y engage avec le lama, il découvre à sa plus grande surprise que celui-ci connaît manifestement Jésus, qu’il nomme « Issa ». Son interlocuteur en parle comme d’un « grand prophète, un des premiers après les vingt-deux bouddha, plus grand que tous les Dalaï-lama », une incarnation du Bouddha qui fut torturé et finalement assassiné par des gens égarés et impies. Notre « converti » à l’orthodoxie rapporte également les critiques qu’aurait formulées le lama à l’égard du Pape, l’accusant de n’être qu’un pseudo Dalaï-lama.
Intrigué, N. Notovitch s’enquiert des origines de ces informations sur le Fondateur du christianisme ; il apprend ainsi que des manuscrits sur la vie et la doctrine de Jésus sont conservés au monastère de Hémis, près de Lek, capitale du Ladakh. Sans plus attendre, le courageux journaliste, défiant mille dangers, se rend en ce lieu, où il a l’immense privilège de copier l’intégralité de La vie de saint Issa, le meilleur des fils des hommes.
L’apocryphe d’Hémis
Le document aurait été rédigé trois ou quatre ans après la mort de Jésus, par des témoins oculaires et contemporains. Il jouirait donc de bien plus de valeur historique que les récits évangéliques, beaucoup plus tardifs. Nous ne dirons rien de l’histoire de Moïse, fils du Pharaon, qui s’érige en chef des Israélites, le trône d’Egypte étant réservé à son frère aîné. Après un temps de décadence, Dieu vient en aide à Israël et s’incarne dans un enfant né de parents pauvres, mais appartenant à la maison royale de David.
Dès sa quatorzième année, le jeune Issa aurait quitté clandestinement la maison paternelle pour se joindre à une caravane en itinérance vers l’Inde. Après avoir fréquenté les Djainites, Jésus aurait passé six ans à l’école des brahmines, dans le temple de Jagannath. Mais comme il niait publiquement l’existence des divinités de l’hindouisme qui obscurcissaient le principe du pur monothéisme, il dut fuir dans les montagnes du Népal pour échapper aux brahmines qui voulaient le tuer. Issa séjourna six autres années parmi les bouddhistes du Tibet, où il trouva une conception du divin correspondant à son aspiration religieuse profonde.
A vingt-six ans, il retourne dans son pays en passant par la Perse, pour y enseigner la doctrine qu’il a étudiée sur les pentes de l’Himalaya. L’accueil que lui réservèrent les chefs religieux de Judée fut des plus chaleureux, les Israélites reconnaissant en lui le Messie tant attendu. Mais inquiet de la popularité croissante de Jésus, Pilate le fit arrêter, et malgré les efforts des grands prêtres et du sanhédrin pour le faire libérer, il fut condamné à mort pour incitation à la rébellion, après avoir été mis cruellement à la question.
Comme les foules pieuses se rassemblaient sur la tombe du saint Martyr, Pilate ordonna d’enlever le corps de nuit, et de l’enterrer dans un lieu secret, en laissant la tombe ouverte afin que les pèlerins puissent se rendre compte qu’il était vain d’encore venir se recueillir en ce lieu. « Mais Pilate manqua son but car les Hébreux, superstitieux et croyant aux miracles, le déclarèrent ressuscité. Et personne ne se trouva assez fort pour démontrer l’impossibilité de cette légende ».
Diffusion
L’ouvrage de N. Notovitch devint un franc succès : il fut réédité à huit reprise l’année même de sa première édition française, en 1894. Dans le même temps, des traductions anglaise, suédoise, italienne et allemande virent le jour, suivies d’une édition en russe. Puis le best seller connut un certain déclin : il faut attendre 1909 pour voir la sortie d’une version espagnole et 1926 pour qu’il soit rééditer aux Etats-Unis. Sa réédition en France en 1991 et en 2004 est significative de l’intérêt (médiatique) pour les interprétations réductrices du Jésus des Evangiles.