Famille de Saint Joseph
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ยซ Ma coupe, vous la boirez. ยป (Mt 20,23)

par | 9 juin 2018

Juin, mois du Sacrรฉ-Cล“ur, temps de la contemplation du cล“ur transpercรฉ pour les pรฉcheurs. La dรฉchirure du Cล“ur de Jรฉsus est une des cinq blessures que le Christ ressuscitรฉ donne ร  contempler ร  ses disciples (cf. Jn 20,27.) Cette contemplation ne se rรฉduit pas ร  un spectacle offert ร  notre reconnaissanceย : elle est un mystรจre dโ€™identification rรฉpondant au dรฉsir de lโ€™homme de communier avec Dieu. Les fils de Zรฉbรฉdรฉe, ร  leur maniรจre, exprimรจrent ouvertement la volontรฉ humaine de sโ€™รฉtablir au plus prรจs du Sacrรฉ-Cล“ur, ร  sa droite et ร  sa gauche. Jรฉsus rรฉpondit ยซย Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boireย ?ย ยป Ils lui disentย : ยซย Nous le pouvons.ย ยป Il leur ditย : ยซย Ma coupe, vous la boirez.ย ยป Sainte Thรฉrรจse de Lisieux tรฉmoigne du mรชme dรฉsir, en pleine conscience et en toute confiance. Dans lโ€™Acte dโ€™offrande ร  lโ€™amour misรฉricordieux, elle demande la stigmatisationย :

Je vous remercie, รด mon Dieuย ! de toutes les grรขces que vous mโ€™avez accordรฉes, en particulier de mโ€™avoir fait passer par le creuset de la souffrance. Cโ€™est avec joie que je vous contemplerai au dernier jour portant le sceptre de la Croixย ; puisque vous [avez] daignรฉ me donner en partage cette Croix si prรฉcieuse, jโ€™espรจre au Ciel vous ressembler et voir briller sur mon corps glorifiรฉ les sacrรฉs stigmates de votre Passion…

Telle est lโ€™essence de sa vie intรฉrieureย : le dรฉsir du martyre, lโ€™intuition de lโ€™holocauste et le dรฉsir des stigmates au Ciel, lequel prรฉsuppose le dรฉsir des stigmates invisibles sur la terre. Thรฉrรจse est partagรฉe entre le dรฉsir du Ciel โ€“ qui nโ€™est pas un dรฉsir de mรฉriter โ€“ et le dรฉsir de mรฉriter โ€“ qui nโ€™est pas un dรฉsir du Ciel. La synthรจse se fera dans la mort dโ€™amour. Elle aura besoin pour le comprendre de passer par des souffrances qui lโ€™รฉtonneront et lui donneront, ร  elle aussi, la tentation que la coupe sโ€™รฉloigne. ยซย Ma coupe, vous la boirez.ย ยป Comment comprendre le dรฉsir des stigmates invisiblesย ? Quel est son lien avec lโ€™invitation ร  boire ร  la coupe du Christย ? Les stigmates reprรฉsentent lโ€™identification au Christ et la communion ร  la souffrance du Pรจre. Nous avons en mรฉmoire le retable de Giotto mettant en scรจne la stigmatisation de saint Franรงois, en 1224, dans la solitude de lโ€™Alverne. Le Christ, au-dessus du Poverello, est reprรฉsentรฉ avec trois paires dโ€™ailes, comme les sรฉraphins dรฉcrits par Isaรฏe (cf. Is 6,2.) Cette association รฉvoque le rรดle des anges dans le mystรจre des stigmates, mais manifeste surtout lโ€™identitรฉ entre saint Franรงois, le ยซย sรฉraphin dโ€™Assiseย ยป, et le Seigneur Jรฉsus. Franรงois rรฉussit ร  dissimuler les traces sanglantes que les stigmates, visibles et douloureux, laissaient sur ses habits. Il sโ€™y appliqua si bien quโ€™ils demeurรจrent inconnus jusquโ€™ร  sa mort. Sainte Catherine de Sienne fut plus radicale dans sa volontรฉ de masquer les stigmates. Quand elle raconte ร  son directeur la vision du Christ en gloire โ€” les plaies du Seigneur apparaissaient comme des points lumineux dโ€™oรน jaillit un rayon la transperรงant, โ€” elle met en avant son dรฉsir que les plaies demeurent invisibles (et non pas insensibles)ย :

Jโ€™ai vu, โ€” dit-elle, โ€” des rayons sanglants sortir des plaies sacrรฉes de Jรฉsus et percer mes pieds, mes mains et mon cล“urย ; alors je mโ€™รฉcriaiย : สฟย ร” Seigneur mon Dieu, je vous en supplie, que mes cicatrices ne paraissent point au dehorsย สพ โ€” et aussitรดt la couleur sanglante se changea en la couleur de lโ€™or et cinq rayons de lumiรจre percรจrent mes mains, mes pieds et mon cล“ur.

Il existe ainsi des stigmates invisibles. Pourraient-ils รชtre insensiblesย ? Ils seraient invรฉrifiables, mais seraient-ils inexistantsย ? Pensons au tรฉmoignage de saint Paulย : ยซย je porte en mon corps les marques [stigmata] de Jรฉsusย ยป (Ga 6,17.) On affirme aujourdโ€™hui comme une รฉvidence que la dรฉclaration serait mรฉtaphorique, il ne pourrait sโ€™agir des stigmates. Faut-il voir dans cette assurance lโ€™empreinte culturelle dโ€™une รฉpoque exigeant que les signes de la foi demeurent invisiblesย ? Ou convient-il de sโ€™interroger sur lโ€™existence de stigmates invisibles et insensiblesย ? Lโ€™ร‰glise ne nous invite-t-elle pas contempler le Christ crucifiรฉ et glorifiรฉ, nous rapprochant ainsi de saint Franรงois et de sainte Catherineย ? Un charisme nโ€™est-il pas la manifestation temporaire dโ€™une grรขce universelle, invisible et insensible, reposant sur lโ€™ร‰gliseย ? Nous sommes ร  la croisรฉe de plusieurs mystรจres dont lโ€™articulation humilie nos espritsย : la contemplation du Christ en Croix, lโ€™empreinte dans notre corps faite par le Christ ressuscitรฉ et notre incorporation au corps mystique du Christ. ยซย Ma coupe, vous la boirez.ย ยป Pour avancer dans la comprรฉhension des stigmates du chrรฉtien, rappelons comment le Seigneur dรฉcida dโ€™associer lโ€™homme ร  sa propre perception du pรฉchรฉ. Le pรฉchรฉ des origines fit en effet perdre ร  lโ€™homme la lumiรจre surnaturelle qui lโ€™รฉclairait, le rendant impuissant ร  รฉviter le pรฉchรฉ sans un secours de la grรขce qui ne lui serait pas toujours accordรฉe. Dโ€™une certaine maniรจre, il fut abandonnรฉ par Dieu au pรฉchรฉ et au pouvoir de Satan, selon ce que la chute lui avait mรฉritรฉ. Mais la sagesse divine lui offrit une autre assistanceย : la connaissance expรฉrimentale dโ€™รชtre pรฉcheur et abandonnรฉ de Dieu (paradoxalement, cette expรฉrience est dโ€™autant plus intense quโ€™on se rapproche de Dieu.) Tel est le sens de la priรจre du Kyrie eleisonย : lโ€™homme, dรฉcouvrant dans sa chair sa misรจre accablante, participe ร  la douleur de Dieu devant le pรฉchรฉ. Lโ€™homme รฉprouve de la pitiรฉ pour lui-mรชme et pour tous ses frรจres, la pitiรฉ mรชme de Dieu ร  laquelle la priรจre lโ€™associe. Dieu fait ainsi goรปter ร  lโ€™homme sa propre douleur face au pรฉchรฉ en permettant que cohabite dans lโ€™รขme humaine le pressentiment de la mort (la seule vraie mort, la mort de lโ€™enfer) et le pressentiment de la gloire. Cette contradiction intรฉrieure suscite le cri dรฉchirant le cล“ur de Caรฏn et celui dโ€™Abel, celui de Job et le Cล“ur de Jรฉsusย : ยซย Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mโ€™as-tu abandonnรฉย ?ย ยป (Mt 27,46), cri contenant la tentation de la rรฉvolte et la rรฉsolution de la confiance. ยซย Pรจre, entre tes mains je remets mon esprit.ย ยป (Lcย 23,46) La misรฉricorde aurait pu รฉpargner ร  lโ€™homme ce poids. Mais, dans sa sagesse, Dieu demande davantage que le consentement initialย : il offre ร  lโ€™homme un calice assez amer pour que Jรฉsus demande ร  lโ€™รฉcarter (cf. Lc 22,42), il partage la coupe qui unit des frรจres de sang. ยซย Ma coupe, vous la boirez.ย ยป Pourquoi un tel chemin, si longย ? La grรขce de la rรฉsurrection ne suffit-elle pasย pour entrer dans la gloireย ? Ne peut-on รชtre saisi instantanรฉment par la gloire de Dieu, comme Jรฉsus au matin de Pรขquesย ? Lโ€™un et lโ€™autre, le chemin lent et le chemin rapide, rรฉalisent la glorificationย ; la stigmatisation est ร  leur croisรฉe. La stigmatisation est la glorification par la douleur de Dieu. Elle trouve sa source dans la gloire corporelle du Christ, dont les stigmates brilleront รฉternellement dans le corps des รฉlus (le mystรจre dโ€™unitรฉ entre les corps glorieux des รฉlus ร  lโ€™intรฉrieur du corps du Christ est difficile ร  se reprรฉsenter, mais il importe de souligner que le corps aussi est concernรฉ.) Les traits de lumiรจre que sainte Catherine a vus sortir des plaies glorieuses du Christ enflamment lโ€™รขme et marquent le corps. Or tout chrรฉtien est exposรฉ aux stigmates du Christ par privilรจge baptismalย : la grรขce du sacrement lie lโ€™รขme et le corps au Christ de telle maniรจre quโ€™elle les immerge dans lโ€™agonie du Christ et les transplante dans la gloire de la rรฉsurrection, donnant au chrรฉtien dโ€™achever en sa chair ce qui manque aux souffrances du Christ (cf. Colย 1,24) et ouvrant ร  la plรฉnitude la gloire. Par ce lien baptismal, la gloire du Christ exerce sur le chrรฉtien cheminant dans la foi une influence ayant le pouvoir de porter la glorification douloureuse ร  son paroxysme โ€” ร  la maniรจre dont le Verbe incrรฉรฉ influence le Cล“ur du Christ. Finalement, on entre dans la gloire de la rรฉsurrection comme le Cล“ur du Christ et ร  sa suite. ยซย Ma coupe, vous la boirez.ย ยป Qui aime le Sacrรฉ-Cล“ur ne refuse pas lโ€™invitation ร  partager sa blessure. Dรจs lors, plus on grandit en saintetรฉ, plus on pleure ses pรฉchรฉsย ; non plus seulement ses pรฉchรฉs personnels, mais le pรฉchรฉ blessant le Cล“ur de Jรฉsus. Comme le bon larron ne voit que lโ€™innocence du Christ โ€” ยซย lui nโ€™a rien fait de malย ยป (Lc 23,41) โ€”, les saints goรปtent la douleur de Dieu au point de se sentir personnellement responsables du pรฉchรฉ. Ils se prรฉsentent sincรจrement comme ยซย le plus grand pรฉcheurย ยป car, contrairement ร  nous, ils pleurent davantage le pรฉchรฉ que ses consรฉquences. Le chrรฉtien acceptant de souffrir et dโ€™espรฉrer embrasse le mouvement du bon larron, crucifiรฉ pour ses pรฉchรฉs, stigmatisรฉ en contemplant lโ€™Innocent. Pour qui ce mouvement nรฉcessite de vaincre lโ€™inertie de la chair, il est possible de recevoir la blessure du Sacrรฉ-Cล“ur en assistant ร  la messe, laquelle nourrit tout autant quโ€™elle attise le dรฉsir de communier ร  lโ€™amour de Dieu et de se laisser entiรจrement consumer par le corps stigmatisรฉ de Jรฉsus. Toute contemplation du Christ crucifiรฉ et ressuscitรฉ, vรฉcue dans un acte de charitรฉ, est stigmatisante. Venez, adoronsย !
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