Nous citons de larges extraits de la mémorable homélie que prononça Paul VI le 24 décembre 1975, au moment de fermer la Porte Sainte au terme de l’Année Jubilaire, et dans laquelle le Pape introduit le vocable « civilisation de l’amour ».
Fils de l’Église !
Frères du monde entier !
Nous avons donné au rite d’ouverture de la Porte Sainte une double signification symbolique ; celle, tout d’abord, de la nécessité d’obtenir un pardon, sans lequel une barrière de désespoir empêcherait notre entrée dans le temple de Dieu. Nous avons en effet reconnu la nécessité angoissante et existentielle que nous éprouvons de rétablir des rapports normaux et heureux avec le Dieu vivant. Nous avons anxieusement et courageusement osé, nous hommes de ce siècle splendide, de ce siècle de Babel, frapper à la porte – que nous avions pourtant délaissée – de la maison paternelle : il s’agissait de revivre selon le dessein de l’Évangile, de la réconciliation avec l’harmonie première, avec Toi, ô Dieu de justice et de bonté !
Un acte, un pacte de religion a cherché, avec succès à relier notre vie dite moderne, notre vie actuelle, historique, civile, quelle qu’elle soit – avec ses négations, son scepticisme, ses aberrations, son indifférence, ou au contraire avec sa piété et sa fidélité – à la relier à Toi, Dieu, Toi la première, la véritable, l’unique, l’ineffable source de la Vie qui ne s’éteint pas et qui resplendit partout. À tous égards, ô Dieu, tu es l’Être nécessaire. Aujourd’hui, tu es à nous, ô Dieu, mystère de paix et de béatitude.
Nous le reconnaissons : nous avons courbé nos fronts fous d’orgueil, de suffisance et de sottise, et nous avons rénové nos consciences dans une sage et sincère humilité, devant les exigences du message du Royaume de Dieu.
Et voici l’autre signification que l’Année Sainte a revêtue pour nous : la Foi et la Vie. Nous disons la Vie, parce qu’il s’agit de Te rejoindre, même sur la rive-limite de notre capacité de connaître et d’aimer ; Toi, l’océan de l’Être, plénitude qui surpasse et qui domine toute existence, ciel de l’insondable profondeur, pas seulement de la terre et du cosmos, mais qui n’est comparable qu’à Toi-même, infini au-delà de l’espace, Père de tout ce qui existe. La Vie, c’est Toi, ô Dieu, suspendu comme une lampe irradiant le bonheur au-dessus de la pénombre de notre expérience balbutiante, en contact avec le monde, avec l’histoire, même avec notre mystérieuse solitude intérieure, qui a d’autant plus besoin de cette lumière souveraine qu’apparaît plus vaste et plus lourd d’inconnu le panorama ouvert par la science et la civilisation à notre regard avide et toujours aussi myope. Nous puiserons dans la Foi – dont le Christ, Parole du Père, est la source – la lumière supplémentaire dont le savoir humain a besoin pour avancer dans la liberté et la confiance sur le chemin du progrès, heureux de pouvoir faire alterner l’étude rationnelle et expérimentale, guidée par ses principes autonomes, avec ce gémissement, ce chant de l’âme qui confirme ces principes, les intègre et les sublime. L’homme nouveau de cette Année Sainte n’oubliera donc pas la prière et il ramènera sa mémoire d’enfant à ce langage innocent des fils de Dieu.
Ô Christ, Toi qui t’es fait pasteur devant nous qui marchons à ta suite, pressés d’atteindre dès maintenant un but qui soit à la fois digne et concret : comprendrons-nous le « signe des temps », qui n’est autre que l’amour dû au prochain ? Dans la définition de ce prochain, tu as inclus tout homme qui a besoin de compréhension, d’aide, de réconfort, de sacrifice, même s’il nous est personnellement inconnu, même s’il nous ennuie, s’il est hostile, car il est toujours revêtu de l’incomparable dignité de frère. La sagesse de l’amour fraternel, qui a caractérisé le cheminement historique de l’Église en s’épanouissant en vertus et en oeuvres qui sont à juste titre qualifiées de chrétiennes, explosera avec une nouvelle fécondité, dans un bonheur triomphant, dans une vie sociale régénératrice. Ce n’est pas la haine, ce n’est pas la lutte, ce n’est pas l’avarice qui sera sa dialectique, mais l’amour, l’amour générateur d’amour, l’amour même que nous te portons, à Toi, ô Christ, découvert dans la souffrance et dans le besoin de notre semblable quel qu’il soit ; l’amour de l’homme pour l’homme. La civilisation de l’amour l’emportera sur la fièvre des luttes sociales implacables et donnera au monde la transfiguration tant attendue de l’humanité finalement chrétienne.
Qu’ainsi, oui, qu’ainsi, frères humains, nous reprenions avec courage et joie notre cheminement dans le temps, vers la rencontre finale, qui met dès maintenant sur nos lèvres l’invocation suprême : « Viens, ô Seigneur Jésus ! » (Ap 22,20)