Demeurรฉes cรฉlibataires, les trois Demoiselles Lacour consacrรจrent leur vie et leur fortune aux ลuvres de charitรฉ. Elles appelรจrent dโabord dans la paroisse de Chasselay les Filles de Saint Vincent de Paul, crรฉรจrent au chรขteau une ยซ pharmacie ยป, cโest-ร -dire une rรฉserve de mรฉdicaments pour les malades, et qui รฉtaient distribuรฉs gratuitement aux pauvres, selon leurs besoins. Quelque trois ans aprรจs leur arrivรฉe, les Filles de saint Vincent de Paul se retirรจrent. Les Demoiselles Lacour dรฉcidรจrent de continuer elles-mรชmes leur ลuvre de charitรฉ sociale : une sorte de dispensaire fonctionna alors au chรขteau conjointement avec la pharmacie, et elles sโen allaient soigner ร domicile les malades pauvres qui ne pouvaient monter jusquโร Mont-Luzin. Elles firent construire aussi dans la cour de la propriรฉtรฉ une chapelle ร lโusage de tous les familiers et des travailleurs du vignoble et des champs ; un prรชtre รขgรฉ la desservait : lโabbรฉ Blanc.
Depuis quโelles avaient entendu parler des apparitions de la Sainte Vierge ร la grotte de Massabielle, les Demoiselles Lacour rรชvaient de se rendre ร Lourdes. En 1862, le rรชve devint rรฉalitรฉโฆ On voyagea partie en chemin de fer, partie en diligence ; lโexpรฉdition fut รฉprouvante, et lโaรฎnรฉe, Cรฉsarine, tomba dangereusement malade. Cahin-caha, on atteignit Lourdes et on prit logis dans la premiรจre hรดtellerie qui se prรฉsenta. Avertie des infortunes de nos voyageuses, la Supรฉrieure de lโHospice des Sลurs de Nevers, Mรจre Alexandrine Roques, se rendit auprรจs dโelles ; et, constatant lโรฉtat de la malade, elle offrit de la transporter ร lโHospice, lโinstalla dans une chambre rรฉservรฉe ร la Communautรฉ des Sลurs, et, pendant un mois, la soigna avec grand dรฉvouement. Guรฉrie, Cรฉsarine put reprendre la route de Mont-Luzin. Peu aprรจs son retour, elle retombait malade. Elle mourut le 5 fรฉvrier 1863.
A Lourdes, les trois sลurs Lacour avaient rencontrรฉ plusieurs fois lโAbbรฉ Peyramale ; elles sโรฉtaient entretenues aussi avec Bernadette qui, pour lors, rรฉsidait ร lโHospice. Lourdes devint pour elles un haut-lieu spirituel. Dรจs juillet 1863, Marie-Elfride et Marie-Sabine allรจrent de nouveau ร Lourdes : au moment du dรฉpart, lโidรฉe leur vint quโune statue ยซ reprรฉsentant dโune maniรจre aussi exacte que possible lโhabillement et la pose de lโApparition ยป, remplacerait avantageusement la modeste Vierge de plรขtre que les bonnes gens de Lourdes avaient juchรฉe dans la niche du rocher de Massabielle. Par lโentremise du Curรฉ Peyramale, elles transmirent leur projet ร Monseigneur Laurence et, en mรชme temps, lui proposaient de confier ce travail ร Joseph Fabisch, un sculpteur lyonnais considรฉrรฉ alors comme un des maรฎtres de lโart religieux : nโavait-il pas dรฉjร crรฉรฉ les statues de la Salette et de Fourviรจre ?
La proposition fut acceptรฉe, les accords conclus. Fabisch envoya dโabord un questionnaire ร Bernadette puis il sโen fut lโinterroger sur place. A son retour, il se mit ร lโลuvre. Il crรฉa une maquette, dont il soumit la photographie ร Bernadette et ร lโAbbรฉ Blanc et aux Demoiselles Lacour. Cโest cette maquette qui, selon une tradition bien รฉtablie, est conservรฉe aujourdโhui encore ร Mont-Luzin : la Vierge y apparaรฎt certainement plus souple, plus naturelle que dans la statue dรฉfinitive. Cependant Bernadette critiqua ce premier essai : ยซ La figure ne paraรฎt pas assez jeune, ni assez souriante, transmet lโAbbรฉ Peyramale, le 30 novembre. Du cรดtรฉ droit, le voile est collรฉ contre la tรชte et le cou, dessinant une courbe de la tรชte ร lโรฉpaule. Du cรดtรฉ gauche, il ne couvre pas lโรฉpaule, et puis des deux cรดtรฉs, il va se plisser en sโengageant sous les bras. Dโaprรจs Bernadette, le voile descendait perpendiculairement, uniment, couvrant les deux รฉpaules et les coudes. La robe nโest pas assez montante (โฆ) : le cou est trop dรฉcouvert dans la partie infรฉrieure. Les mains รฉtaient plus jointes, les doigts appliquรฉs les uns contre les autres ; le pied gauche paraรฎt un peu trop รฉcartรฉ (โฆ). Le chapelet a รฉtรฉ oubliรฉ. ยป Fabisch corrigeaโฆ comme il le put ; mais, en la corrigeant, il enleva ร son ลuvre une certaine grรขce naรฏve. La statue de marbre est ยซ plus belle ยป, selon les rรจgles acadรฉmiques ; on peut lรฉgitimement la trouver ยซ plus froide ยป. ยซ Ce nโest pas Elleโฆ dit un jour Bernadette. Dโailleurs on ne peut pas faire comme cโรฉtait ! ยป Le marbre est le marbre : le 4 avril lundi de Quasimodo 1864, fรชte de lโAnnonciation (dรฉplacรฉe en raison de la liturgie de Pรขques), la statue de Fabisch fut placรฉe dans sa niche et inaugurรฉe : ce jour-lร le sermon fut prononcรฉ par lโAbbรฉ Alix, cรฉlรจbre prรฉdicateur parisien, ami des Demoiselles Lacour.
Le don de la statue de la grotte ne fut pas le seul tรฉmoignage de lโattachement des Demoiselles Lacour ร Lourdes. En 1864, elles accueillirent ร Mont-Luzin lโAbbรฉ Peyramale convalescent ; elles lui offrirent de faire le pรจlerinage de Rome en compagnie de lโAbbรฉ Blanc ; elles firent don ร lโEvรชchรฉ de Tarbes du chalet quโelles avaient fait construire, pour leurs sรฉjours ร Lourdes, dans la prairie de Monsieur Lafitte : il sera transformรฉ plus tard en ยซ chalet รฉpiscopal ยป. Dรจs lors, Lourdes et Mont-Luzin รฉtaient รฉtroitement liรฉs.
Marie-Elfride et Marie-Sabine Lacour, sur la lancรฉe de leur dรฉvouement pour les pauvres, se dรฉpouillaient peu ร peu de leurs biens ou prenaient des dispositions testamentaires en leur faveur. En mourant, Cรฉsarine avait dit ร ses sลurs : ยซ Je ne fais pas de testament, mais je pense que vous nโoublierez jamais les Sลurs de Nevers ยป. En 1867, Marie-Elfride mourait ร son tour. Marie-Sabine, en accord avec les intentions de ses aรฎnรฉes, rรฉdigea ainsi son ยซ testament mystique ยป : ยซ Je donne et lรจgue ร la communautรฉ des Sลurs de la Charitรฉ, dont la maison-mรจre est รฉtablie ร Nevers, toute ma propriรฉtรฉ de Mont-Luzin (โฆ). A la charge par elle dโรฉtablir dans la maison lรฉguรฉe une pharmacie oรน les remรจdes seront ร la disposition de tous, mais ne seront livrรฉs gratuitement quโaux pauvres de Chasselay, dโentretenir un aumรดnier dans cette maison pour les religieuses de leur ordre qui devraient y sรฉjourner en nombre suffisant pour secourir ร domicile les malades pauvres de Chasselay et leur fournir gratuitement les remรจdes accessoires (car tel sera leur soin principal) autant que les ressources provenant du legs le leur permettront, et dont elles seront les seuls juges, sans que personne ait le droit dโexercer un contrรดle ou de sโimmiscer dans leur gestion ยป. Par le mรชme testament, Marie-Sabine Lacour crรฉait des bourses pour les รฉlรจves du Grand Sรฉminaire de Lyon et ceux du Sรฉminaire des Missions Etrangรจres de Paris ; elle assurait la retraite de lโAbbรฉ Blanc, faisait un don ร lโEcole des Frรจres de Chasselay, sโintรฉressait aux ouvriers agricoles du domaine.
Le 19 novembre 1868 parvenait au Couvent Saint Gildard une lettre de lโAbbรฉ Blanc, par laquelle il annonรงait la mort de Marie-Sabine Lacour et le legs gรฉnรฉreux de Mont-Luzin ร la Congrรฉgation. Mรจre Gรฉnรฉrale Josรฉphine Imbert nโavait jamais entendu parler de lโaventure des Demoiselles Lacour, ร Lourdes, en 1862โฆ Ce fut pour elle une ยซ hallucination ยป, รฉcrit Monseigneur Grosnier. Mais les piรจces รฉtaient lร : non, ce don nโรฉtait pas un mythe.
Les dรฉmarches administratives et juridiques durรจrent trois ans. Ce nโest quโen 1872 que la Congrรฉgation des Sลurs de Nevers entra lรฉgalement en possession de Mont-Luzin.