Famille de Saint Joseph

La connaissance intuitive

par | 16 aoรปt 2006

ยซ En indiquant les caractรจres essentiels de la mรฉtaphysique, nous avons dit quโ€™elle constitue une connaissance intuitive, c’est-ร -dire immรฉdiate, sโ€™opposant en cela ร  la connaissance discursive et mรฉdiate de lโ€™ordre rationnel. Lโ€™intuition intellectuelle est mรชme plus immรฉdiate encore que lโ€™intuition sensible, car elle et au-delร  de la distinction du sujet et de lโ€™objet que cette derniรจre laisse subsister ; elle est ร  la fois le moyen de la connaissance et la connaissance elle-mรชme, et, en elle, le sujet et lโ€™objet sont unifiรฉs et identifiรฉs. Dโ€™ailleurs, toute connaissance ne mรฉrite vraiment ce nom que dans la mesure oรน elle a pour effet de produire une telle identification, mais qui, partout ailleurs, reste toujours incomplรจte et imparfaite ; en dโ€™autres termes, il nโ€™y a de connaissance vraie que celle qui participe plus ou moins ร  la nature de la connaissance intellectuelle pure, qui est la connaissance par excellence. Toute autre connaissance, รฉtant plus ou moins indirecte, nโ€™a en somme quโ€™une valeur surtout symbolique ou reprรฉsentative ; il nโ€™y a de connaissance vรฉritable et effective que celle qui nous permet de pรฉnรฉtrer dans la nature mรชme des choses, et, si une telle pรฉnรฉtration peut dรฉjร  avoir lieu jusquโ€™ร  un certain point dans les degrรฉs infรฉrieurs de la connaissance, ce nโ€™est que dans la connaissance mรฉtaphysique quโ€™elle est pleinement et totalement rรฉalisable.
La consรฉquence immรฉdiate de ceci, cโ€™est que connaรฎtre et รชtre ne sont au fond quโ€™une seule et mรชme chose ; ce sont, si lโ€™on veut, deux aspects insรฉparables dโ€™une rรฉalitรฉ unique, aspects qui ne sauraient mรชme plus รชtre distinguรฉs vraiment lร  oรน tout est โ€œsans dualitรฉโ€. ยป

Renรฉ Guรฉnon, Introduction gรฉnรฉrale ร  lโ€™รฉtude des doctrines hindoues

Prรฉcisons pour commencer que le terme ยซ mรฉtaphysique ยป nโ€™est pas ร  prendre ici en son sens philosophique traditionnel ; il dรฉsigne chez R. Guรฉnon la connaissance de ce qui se trouve au-delร  (mรฉta) de la nature (physis). Il sโ€™agit donc dโ€™une connaissance sur-naturelle – ร  condition de ne pas entendre ce terme au sens chrรฉtien dโ€™une connaissance proprement divine, qui serait communiquรฉe par lโ€™Esprit Saint. Pour notre auteur il sโ€™agit tout au contraire dโ€™une connaissance strictement humaine, mais qui met en jeu des facultรฉs ยซ subtiles ยป, quโ€™il sโ€™agit dโ€™activer par lโ€™initiation. Le domaine surnaturel ne dรฉsigne donc pas pour R. Guรฉnon la sphรจre divine, mais le domaine occulte que lโ€™รฉsotรฉrisme dรฉcrit et auquel le rituel initiatique est supposรฉ donner accรจs. Dโ€™ailleurs, il nโ€™y a pas de sphรจre divine distincte du monde crรฉรฉ chez notre auteur, qui professe un naturalisme sโ€™inspirant de lโ€™advaรฏta (non-dualitรฉ) hindoue, ร  laquelle il fait allusion en fin de citation.

Cette connaissance mรฉtaphysique serait selon R. Guรฉnon, le fruit dโ€™une ยซ intuition intellectuelle ยป. Le terme ยซ intuition ยป veut exprimer quโ€™il sโ€™agit dโ€™une connaissance reรงue passivement ; ainsi nous nous ouvrons ร  lโ€™intuition sensible, que nous accueillons telle quโ€™elle se donne. Lโ€™homme aurait selon notre auteur, une capacitรฉ rรฉceptive analogue dans le domaine intellectuel, nous permettant de saisir ยซ immรฉdiatement ยป les essences, sans passer par la connaissance sensible. Habituellement, notre intelligence abstrait en effet la forme intelligible de lโ€™image intรฉrieure, que lโ€™imagination lui transmet comme une synthรจse des informations sensibles fournies par lโ€™objet extรฉrieur. Cette forme intelligible correspond ร  la quidditรฉ de lโ€™objet, c’est-ร -dire son essence, sa dรฉfinition, ou encore lโ€™ensemble des dรฉterminations qui font quโ€™ยซ une chose est ce quโ€™elle est et ne peut pas รชtre autrement ยป (Aristote). Selon notre auteur, une telle connaissance est encore partielle et imparfaite. Pour connaรฎtre en vรฉritรฉ lโ€™objet, il faudrait pouvoir sโ€™unir ร  lui au point de sโ€™identifier ร  lui – ce qui est รฉvidemment impossible, sauf ร  cesser dโ€™รชtre ce que nous sommes pour devenir lโ€™objet visรฉ.

Certes, toute connaissance suppose une communion intentionnelle entre le sujet et lโ€™objet ; mais cette identitรฉ est purement formelle et respecte lโ€™altรฉritรฉ du connaissant et du connu : lโ€™objet est formellement dans le sujet en tant quโ€™objet. Lโ€™identification rรฉelle que suggรจre R. Guรฉnon pose la question de savoir qui fait cette expรฉrience, puisquโ€™elle suppose lโ€™abolition prรฉalable de la distinction sujet/objet ? En aucun cas lโ€™individu, puisquโ€™il est absorbรฉ dans lโ€™objet ; il reste que cette activitรฉ cognitive soit attribuรฉe ร  une ยซ intelligence universelle ยป ou ยซ cosmique ยป, ร  laquelle nous serions appelรฉs ร  participer au prix du renoncement ร  notre intelligence et ร  notre conscience personnelles. Cโ€™est bien ce que confirme notre auteur, lorsquโ€™il ajoute que :

ยซ Connaรฎtre et รชtre ne sont au fond quโ€™une seule et mรชme chose ; ce sont, si lโ€™on veut, deux aspects insรฉparables dโ€™une rรฉalitรฉ unique, aspects qui ne sauraient mรชme plus รชtre distinguรฉs vraiment lร  oรน tout est โ€œsans dualitรฉโ€. ยป

La connaissance ยซ mรฉtaphysique ยป selon R. Guรฉnon sโ€™identifie ร  lโ€™expรฉrience de mystique naturelle, ou encore ร  lโ€™intuition de lโ€™acte dโ€™exister commun ร  tous les individus (esse commune), en amont de leurs diffรฉrenciations individualisantes, c’est-ร -dire en amont de leur essence. Il est dรจs lors difficile de dรฉcrire cette expรฉrience en termes dโ€™ยซ intuition intellectuelle ยป, รฉtant donnรฉ que lโ€™objet propre de lโ€™intelligence nโ€™est autre que lโ€™essence intelligible, qui nโ€™est prรฉcisรฉment plus prise en compte dans cette expรฉrience.

Loin de dรฉcrire un processus dโ€™acquisition de connaissance, lโ€™รฉpistรฉmologie guรฉnonienne – et plus largement lโ€™รฉpistรฉmologie des ยซ sciences ยป รฉsotรฉriques et occultes – propose plutรดt un chemin de dissolution des conditions de possibilitรฉ de toute connaissance intellectuelle authentique. Lorsque nous nous souvenons que pour accรฉder ร  cette ยซ intuition intellectuelle ยป, lโ€™adepte doit passer par lโ€™initiation, au cours de laquelle lui sera transmise lโ€™ยซ influence spirituelle ยป indispensable pour quโ€™il puisse sโ€™ouvrir aux รฉtats supรฉrieurs de conscience, on aura compris que ce chemin nโ€™est pas compatible avec la dรฉmarche de foi chrรฉtienne.

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