Vous avez raison : pour éviter toute ambiguïté, j’aurais dû préciser : « en dehors du contexte sacramentel chrétien ». Dans ce cas particulier en effet, cette efficacité ne saurait être nommée « magique », puisque le terme spécifique qui la qualifie est précisément celui de (efficacité) « sacramentelle ». Mais les deux démarches ne sont pas sans rapport : essayons d’éclairer brièvement ce point.
Les rituels magiques tirent leur efficacité de l’initiation préalable reçue par le mage ; initiation au cours de laquelle l’esprit invoqué « adombre » le magicien, qui devient ainsi l’instrument de cet esprit. Celui-ci peut alors agir à travers le magicien dans les rituels qu’il accomplit. De là l’efficacité de l’action magique accomplie selon les normes convenues.
La ressemblance avec la démarche sacramentelle ne devrait pas nous étonner : ne parlons-nous pas des sacrements « d’initiation » ? Ne sommes-nous pas par le baptême sous l’onction de l’Esprit Saint invoqué sur nous ? Ne sommes-nous pas devenus son Temple, au point qu’il agisse par nous et en nous ? Saint Thomas précise même que par le sacrement de l’Ordre, le prêtre est transformé ontologiquement pour pouvoir agir « in persona Christi capitis » – dans la personne du Christ Tête : c’est donc bien le Seigneur lui-même, qui par l’Esprit, agit à travers le prêtre et donne leur efficacité aux paroles qu’il prononce et aux gestes qu’il pose – pour autant qu’il accomplisse le rituel sacramentel prescrit, et agisse « en ayant l’intention de faire ce que fait l’Eglise ».
Cette mise en parallèle souligne la gravité pour un chrétien de participer à un rituel initiatique hors de l’Eglise : il s’agit toujours pour lui d’une apostasie au moins implicite, puisqu’il renonce à l’inhabitation et à la collaboration avec l’Esprit Saint pour se vouer à d’autres esprits.
En ce qui concerne la prière, nous ne dirons pas que notre prière est toujours « efficace », bien que ce soit l’Esprit Saint qui la prononce en nous ; mais nous pouvons affirmer sans crainte avec Saint Thérèse d’Avila, qu’elle est toujours « exaucée », c’est-à-dire que Dieu l’entend et y répond. Seulement il se réserve d’éventuellement la « corriger » afin qu’elle concoure à notre bien véritable.
Pour résumer, il y a donc deux différences essentielles entre la formule magique et la prière chrétienne :
– la nature de l’esprit invoqué : l’Esprit Saint dans le cas de la prière ; un esprit (diabolique) dans le cas de la magie ;
– la nature de la collaboration entre l’homme et l’esprit invoqué : la prière se déroule dans le contexte d’une Alliance ; le rituel magique sur l’horizon d’un contrat.
D’où découle une troisième différence :
– la dimension interpersonnelle et le caractère dialogal de la prière ; le caractère mécanique de la formule magique.