Selon le thรฉoricien du spiritisme, Hippolyte Dรฉnizard Rivail (1804-1869), alias Allan Kardec, lโhomme serait formรฉ de trois principes qui coexistent pendant la vie mais se dissocient ร la mort :
– le corps matรฉriel, qui pรฉrit ;
– lโรขme, qui ร la mort se dรฉgage de la matiรจre, tout en restant unie ร un troisiรจme principe :
– le pรฉrisprit.
Selon notre auteur, lโรขme serait un principe spirituel immortel participant de la nature divine. Elle serait principe de vie mais aussi principe de lโintelligence, de la volontรฉ ; foyer de la conscience et de la personnalitรฉ.
Le corps est lโinstrument matรฉriel dont lโรขme a besoin pour รฉdifier sa destinรฉe ; elle le dรฉpose ร la mort, pour se revรชtir dโun autre, plus adaptรฉ ร ses nouveaux besoins, lors dโune incarnation ultรฉrieure, au cours de laquelle elle continuera son cheminement spirituel.
Lโรขme serait unie au corps physique par lโintermรฉdiaire dโun corps fluidique ou ยซ pรฉrisprit ยป, qui tient ร la fois de lโรขme et du corps, de lโesprit et de la chair. Le terme ยซ pรฉri-sprit ยป veut dโailleurs dire : ยซ qui est autour de lโesprit ยป. Lโesprit serait donc entourรฉ dโune enveloppe trรจs subtile dโune nature hybride, mi-matรฉrielle et mi-spirituelle.
Ce pรฉrisprit se prรฉsenterait รฉgalement comme un double du corps physique. Il pourrait devenir visible dans certains cas et mรชme se manifester tangiblement (fantรดmes), en laissant des traces ou en dรฉplaรงant des objets. Cโest lui qui permet aux esprits dรฉsincarnรฉs de se matรฉrialiser, c’est-ร -dire dโapparaรฎtre aux vivants, voire de leur parler – au cours des rรฉunions spirites par exemple.
Le pรฉrisprit est supposรฉ unir la chair et lโesprit en les pรฉnรฉtrant tous deux, de maniรจre ร leur permettre de se compรฉnรฉtrer rรฉciproquement. Le pรฉrisprit communiquerait avec lโรขme spirituelle par des courants magnรฉtiques, et avec le corps par le moyen du fluide vital du systรจme nerveux qui lui servirait de transmetteur.
Critique
Il est difficile dโentrevoir ce que pourrait-รชtre un corps qui participe ร la fois ร la matiรจre et ร lโesprit, afin de pouvoir assurer le lien entre le corps et lโรขme spirituelle. Ce corps fluidique est capable dโagir sur la matiรจre ; il est donc matรฉriel ; auquel cas il nโest pas spirituel. Lโรฉtymologie du terme ยซ pรฉri-sprit ยป est tout aussi รฉtonnante : comment donc ce corps fluidique pourrait-il circonscrire lโesprit, qui par dรฉfinition nโest pas spatio-temporel ?
Soyons clairs : le pรฉrisprit ne fait pas davantage lโunitรฉ du composรฉ humain que la glande pituitaire dans le dualisme cartรฉsien. Il est soit matiรจre, soit esprit, et ne peut dโaucune maniรจre participer aux deux.
Plus absurde encore : lโรขme spirituelle serait selon Allan Kardec sensible aux courants magnรฉtiques. Puisque ceux-ci appartiennent au monde physique, lโรขme fait donc partie de lโunivers matรฉriel et nโa rien de spirituel au sens propre du terme.
Ce que A. Kardec dรฉsigne comme une ยซ รขme spirituelle ยป nโest quโune รฉnergie physique subtile, tout comme la matiรจre peut รชtre dรฉcrite comme une รฉnergie condensรฉe ou cristallisรฉe. Nous retrouvons le schรฉma de lโรฉsotรฉrisme : lโEnergie divine se diffuse en un spectre dโรฉnergies de diffรฉrentes frรฉquences, qui rayonnent de leur source jusquโร leur ultime cristallisation dans la matiรจre. Le pรฉrisprit et lโรขme serait deux niveaux dโรฉnergie intermรฉdiaires, rรฉpartis selon leur degrรฉ de subtilitรฉ : le pรฉrisprit, plus dense que lโรขme mais plus subtil que la matiรจre ; et lโรขme, plus subtile que le pรฉrisprit mais de nature physique tout comme le pรฉrisprit et le corps. Un autre argument en faveur de cette interprรฉtation est lโaffirmation soutenue par A. Kardec, selon laquelle lโespace serait le lieu des esprits, comme le monde terrestre est le lieu des corps. Si lโesprit peut รชtre localisรฉ dans lโespace, cโest donc bien quโil appartient ร notre monde physique, qui sโinscrit dans les coordonnรฉes spatio-temporelles.
Dans cette perspective, le pรฉrisprit pourrait nโรชtre quโun autre nom pour le corps รฉtherique (ยซ double physique ยป), tandis que lโยซ รขme spirituelle ยป dont parle A. Kardec, correspondrait au corps astral (ou corps vital) des occultistes. Inutile de dire quโil nโy a pas grand-chose de ยซ spirituel ยป dans tout cela puisque nous restons au niveau des corps occultes, et donc dans lโimmanence du monde physique.
Face ร cette confusion des principes, nous rรฉaffirmons tout au contraire une distinction ontologique entre le monde physique (matiรจre/รฉnergie) et le monde spirituel. En tant quโesprit incarnรฉ, lโรชtre humain est ยซ citoyen des deux mondes ยป. Il participe au monde matรฉriel par son corps, et au monde spirituel par son รขme spirituelle. Lโรขme informe le corps (au sens aristotรฉlicien) et assure lโunitรฉ substantielle de lโรชtre humain. Lโesprit et la matiรจre, dans lโhomme, ne sont pas deux natures unies, mais leur union forme une unique nature. Rejetant la confusion entre lโesprit et la matiรจre – inhรฉrente ร lโรฉsotรฉro-occultisme et au spiritisme – tout comme lโopposition cartรฉsienne en deux substances sรฉparรฉes, nous maintenons ร la fois la transcendance de lโesprit sur la matiรจre, et lโunitรฉ substantielle de lโรขme rationnelle et du corps quโelle anime.
Nous rejetons bien sรปr รฉgalement le monisme sous-jacent au spiritisme : selon A. Kardec, lโรขme spirituelle participerait ร la nature divine, tout en appartenant comme nous venons de le voir, ร la nature physique. Ce qui revient ร dire que tout le manifestรฉ รฉmane dโune unique Energie divine, sans quโil y ait de distinction ontologique ร quelque niveau que ce soit. A. Kardec a beau utiliser le terme ยซ Dieu crรฉateur ยป, en fait son systรจme se rapproche davantage dโun รฉnergรฉtisme รฉmanationniste que de la doctrine de la crรฉation.