Lโรขme peut percevoir par elle-mรชme, et sans lโentremise des organes corporels, au moyen de sa sensibilitรฉ et de son diaphane, les choses, soit spirituelles, soit corporelles, qui existent dans lโunivers.
Spirituel et corporel sont des mots qui expriment seulement des degrรฉs de tรฉnuitรฉ ou de densitรฉ de la substance.
Il nโy a pas de barriรจre infranchissable qui sรฉpare les รขmes, puisquโil nโy a dans la nature ni brusque interruption ni murailles abruptes qui puissent sรฉparer les esprits. Tout est transition et nuances, et, si lโon suppose la perfectibilitรฉ, sinon infinie, du moins indรฉfinie, des facultรฉs humaines, on verra que tout homme peut arriver ร tout voir, et par consรฉquent ร tout savoir, du moins dans un cercle quโil peut indรฉfiniment รฉlargir. ยป
Eliphas Lรฉvi, Dogme de Haute Magie
Pour les esprits incarnรฉs que nous sommes, lโacquisition de nouvelles connaissances part toujours de la perception sensible, que nous confrontons avec les donnรฉes retenues dans notre mรฉmoire, afin de pouvoir lโintรฉgrer dans lโensemble de notre savoir thรฉorique et pratique. Nous nโavons pas dโintuition immรฉdiate de lโessence des choses : nous arrivons ร dรฉfinir ce quโelles sont ร partir dโun patient travail qui consiste ร abstraire lโintelligible du sensible dans lequel il est ยซ incarnรฉ ยป. Notre connaissance procรจde donc toujours des sens, dโoรน elle sโรฉlรจve vers des niveaux de plus en plus abstraits.
Or dans ce passage, Eliphas Lรฉvi prรฉtend que lโhomme aurait accรจs ร un autre mode de connaissance que celui auquel nous venons de faire allusion. Selon lui, lโรขme pourrait ยซ percevoir ยป, par une connaissance intuitive non sensible, des rรฉalitรฉs dโun autre ordre que les choses du monde grossier, matรฉriel, qui nous entoure. Nous avons compris que cette ยซ sensibilitรฉ ยป particuliรจre correspond ร lโintuition mรฉdiumnique, ยซ activรฉe ยป par lโinitiation et dรฉveloppรฉe par les techniques appropriรฉes. Il ne sโagit cependant pas dโune intuition directe des essences, comme peut lโรชtre la connaissance angรฉlique, puisque lโauteur prรฉcise que notre รขme perรงoit ยซ au moyen de son diaphane ยป
. Lโรขme se sert donc dโun ยซ instrument ยป adaptรฉ ร la rรฉalitรฉ visรฉe. De mรชme que nous avons des organes sensibles pour scruter le monde matรฉriel, nous aurions des corps subtils, ยซ diaphanes ยป ou ยซ spirituels ยป qui nous permettraient de percevoir et dโagir sur les divers niveaux du spectre des รฉnergies occultes. Chacun de ces corps subtils disposerait dโorganes de perception adaptรฉs ร son niveau spรฉcifique. Toujours pour notre auteur, il nโy aurait pas de discontinuitรฉ entre le domaine ยซ matรฉriel ยป et les plans plus subtils, mais seulement une sรฉrie de transitions ou de seuils, que lโadepte pourrait franchir par lโactivation des organes diaphanes correspondants. Une fois que lโinitiรฉ aurait activรฉ toutes ses facultรฉs subtiles, il aurait accรจs ร une connaissance thรฉorique et pratique de tous les plans du rรฉel, du plus grossier, matรฉriel, jusquโau plus diaphane, ยซ spirituel ยป, correspondant au pur Etre divin. Cโest ainsi quโil prendrait conscience de sa nature divine et quโil dรฉcouvrirait quโil est un microcosme rรฉcapitulant en lui toute la complexitรฉ du macrocosme, avec lequel il ne fait quโun.
Nous aurons reconnu la doctrine holistique caractรฉristique de la pensรฉe naturaliste, pour laquelle lโunivers entier, y compris lโรชtre humain, serait divin par nature. Dans ces conditions, le cheminement ยซ spirituel ยป ne saurait consister ร aller ร la rencontre dโun Dieu personnel, transcendant, comme nous le propose le Christ Jรฉsus ; mais il sโagirait dโacquรฉrir la maรฎtrise progressive – grรขce aux techniques initiatiques – des niveaux plus subtils de lโOcรฉan divin des รฉnergies occultes, dans lequel nous serions immergรฉs.