La pensée de saint Bernard (1090-1153) sur la mission de saint Joseph se trouve principalement exprimée dans les quatre homélies dites « Super missus est », qui constituent l’un des premiers écrits de l’Abbé de Clairvaux ; il devait avoir alors 28 ans. Même si l’auteur indique comme titre « Homélies sur la gloire de la Vierge Marie », saint Joseph y trouve toute sa place, ce qui témoigne qu’à cette époque, saint Bernard était déjà en possession d’une doctrine solide et cohérente sur l’époux de la Vierge.
Pour Bernard, saint Joseph est un jeune homme dans la force de l’âge, qui remplit allègrement la mission que Dieu lui a confiée, et pour laquelle il a été richement doté de toutes les grâces requises. Joseph est :
L’Abbé de Clairvaux semble placer le mariage de Marie et de Joseph avant la visite que Joseph reçut de l’Ange, en se fondant sur les termes d’époux et d’épouse utilisés par l’évangéliste Matthieu (Mt 1, 19-20) : « Ne crains pas de prendre près de toi, Marie ton épouse ». Il ne commente pas le message de l’Ange, se contentant de signaler que le Messager céleste est plus explicite pour Joseph que pour Marie ; d’où il déduit que la Vierge était « plus pleinement renseignée par l’Esprit ». À Marie, l’Ange n’indique que le nom du Sauveur (Lc 1,31) ; à Joseph il précise la raison de ce nom : « car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1,21).
Joseph ne pouvait être que jeune, puisqu’un des motifs du saint mariage était de cacher au démon la naissance virginale du Sauveur :
Le Sauveur est un trésor qu’il faut précieusement garder, un soleil qu’il faut voiler. C’est le rôle de Joseph et de Marie. Les fiançailles cachent la conception virginale ; les pleurs et les vagissements de l’Enfant voilent la naissance miraculeuse.
Le Sauveur a choisi lui-même les circonstances de sa naissance, contrairement aux autres enfants. Il a choisi
L’humilité et la pauvreté ont parfaitement voilé le mystère. Il fallut aux mages une lumière toute surnaturelle pour découvrir la réalité.
Tout en gardant une extrême discrétion sur la relation des saints Époux, Bernard aime les contempler dans la simplicité de leur vie quotidienne. Pour Joseph, la Vierge est « sa Dame, mère de son Seigneur ». Il est conscient d’avoir reçu la mission d’être pour elle un réconfort : solatium – qu’il faut comprendre dans le double sens de soutien pour la vie matérielle et de consolation pour la vie affective. Ainsi par la volonté du Seigneur, Joseph est pour « sa Dame » une source de vrai bonheur.
Joseph était pleinement renseigné sur la chasteté de Marie dès avant la visite de l’Ange :
Pour Bernard il ne fait pas de doute que « Joseph n’a pas cessé d’être chaste après la naissance de l’enfant » (In Cant. 72, 1).
Dans son deuxième Sermon pour la Purification, il contemple :
Ces mains virginales sont d’abord celles de Joseph, qui est nommé le premier, puis celles de Marie. De fait, Bernard précise que la Vierge « introduit l’Enfant », mais c’est « Joseph qui l’offre ». Pour le Docteur Mellifluus (titre que lui attribua le pape Pie XII), le mystère de Nazareth doit servir d’exemple à la vie chrétienne : puisque celle-ci doit prendre la forme d’un « sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu » (Rm 12,1), elle devrait ressembler à celle du Seigneur :
Dans le climat de vérité, de simplicité et d’intimité qui régnait au sein de la Sainte Famille, rien ne vient distraire Joseph et Marie de leur unique et commune préoccupation : Jésus. Tous trois sont inséparables, puisque l’Évangile ne les a jamais séparés. Bernard en tire la leçon : de même que les bergers ne trouvèrent pas l’Enfant seul mais avec Marie et Joseph, « il faut qu’il y ait en nous, toujours, Marie, Joseph et l’Enfant dans la crèche », c’est-à-dire :
– l’humilité de l’Enfant,
– la pureté de la Vierge, et
– la justice de Joseph « cet homme juste qui a une si belle place dans l’Évangile ».
Dans la vie de tous les jours Joseph ne se tient jamais à l’écart. Après son travail « c’est souvent qu’il prend l’Enfant et le place sur ses genoux, lui sourit et provoque son sourire ». C’est une joie pour lui de le « regarder, de l’écouter, et encore de le transporter, de le conduire, de le prendre dans ses bras, de le couvrir de baisers, de lui donner à manger et de veiller sur lui ».
L’humilité se manifeste particulièrement par la docilité. Aussi l’Abbé de Clairvaux se plaît-il à donner en exemple à ses moines, la docilité du Christ envers Joseph et Marie :
La conclusion s’impose :
Cette humilité est sans mesure :
À ses novices, un jour qu’ils se croyaient sages en désobéissant à leur Abbé, Bernard donne l’exemple de la Sagesse éternelle, qui ne rougit pas de se soumettre à un simple ouvrier, et qui plus est à une femme. Exemple d’humilité encore de la part du Christ qui, jusqu’à trente ans, a voulu passer pour être le fils d’un humble artisan :
Puisque l’Évangile n’en dit rien, Bernard ne parle pas de la mort de Saint Joseph. Il ne s’étend pas davantage sur sa puissance d’intercession au ciel ou sur son patronage sur l’Église. Quelques textes font cependant mention d’un ministère de Joseph dans l’Église, en raison de la présence du Christ vivant, dont Joseph ne peut se désintéresser. Ainsi dans toute communauté ecclésiale sont présents Jésus, l’Ange du bon conseil ; Marie, la Vierge-Mère et Joseph, le serviteur et nourricier.
Comparant l’Église universelle à Marie et les chrétiens à Jésus, Bernard n’hésite pas à conseiller au Pape de s’inspirer de saint Joseph !
Puissent ces quelques miettes tombées de la table de saint Bernard nourrir notre dévotion à saint Joseph, afin que nous lui donnions la place qui lui revient aux côtés de Jésus et de Marie, dans notre vie personnelle, familiale et communautaire.