Un argument souvent utilisé contre la doctrine de la création, consiste à dire que si la création est distincte du Créateur, elle fait nombre avec lui, et que celui-ci ne peut dès lors plus être Dieu, l’ensemble (Dieu + la création) étant supérieur à (Dieu seul). Ainsi Mr Arnauld Desjardins écrit-il dans Les chemins de la sagesse : « En maintenant irréductiblement la distinction de la créature et du Créateur, nous limitons le Créateur si la créature n’est pas le Créateur, c’est qu’il y a quelque chose d’autre que Dieu. Par conséquent Dieu trouve là sa limite. On ne peut plus dire que Dieu est infini, illimité, puisqu’il existe la créature qui n’est pas Dieu » (pp. 33-34). D’où notre auteur en conclut : « Tout ce qu’il y a d’être en nous est Dieu. Donc nous sommes Dieu. Mais nous ne le savons pas » (Ibid.). Ce même raisonnement pourrait s’appliquer à tout ce qui se manifeste dans l’être et participerait nécessairement à l’unique être divin.
A ce raisonnement nous objectons que si la création est en effet distincte de Dieu, elle ne fait cependant pas nombre avec lui, étant d’une autre nature ontologique. On ne peut « compter » (additionner et soustraire) que des êtres appartenant à un même ensemble : des objets, des plantes, des animaux ou des hommes. Il faut qu’il y ait un commun dénominateur qui permette de les regrouper pour les nombrer : ainsi on exclut les plantes lorsqu’on additionne des animaux. Certes on peut additionner des cailloux et des hommes, à condition de choisir de les unifier sous le concept d’ « existants ».
Or précisément, il n’y a aucun aspect qui rassemble le Créateur et sa créature dans un même groupe, permettant ainsi de les nombrer. Même le plus petit commun dénominateur le plus vague, le moins défini, à savoir le fait simplement d’exister, n’a absolument rien de commun entre Dieu et sa créature en raison de l’abîme ontologique qui les sépare. Certes le Créateur possède l’existence puisqu’il la communique à chaque instant à sa créature ; mais il ne la possède pas comme elle : il la possède comme Dieu seul la possède, c’est-à-dire de manière suréminente qui échappe à toute saisie conceptuelle. Ce n’est qu’analogiquement que nous attribuons le terme « exister » à Dieu à partir de notre expérience des choses de ce monde. Il n’y a donc pas de contradiction à maintenir un Dieu Créateur qui suscite dans l’être des créatures distinctes de lui, sans que pour autant celles-ci le limitent.