Précisément, c’est bien cette affirmation de la médiation du salut universel en la personne de Jésus-Christ qui pose problème…
Il nous est impossible de répondre au désir de la théologie pluraliste lorsqu’elle demande au christianisme de proposer sa doctrine dans un discours plus théocentrisme que christocentrique, de manière à permettre aux autres religions d’y reconnaître leurs propres propositions. La vérité de la foi n’est pas à notre disposition : c’est nous qui sommes au service du donné révélé.
Il est significatif que dans l’article auquel nous faisions allusion, R. Panikkar ne mentionne même pas Jésus-Christ. Le programme proposé par cet auteur pour assurer la « survie » du christianisme – programme qui consistait à renoncer à la spécificité du christianisme – implique logiquement de renoncer au Christ. Du même coup, la religion chrétienne est réduite à une résurgence de croyances antérieures qui n’ont à vrai dire plus rien à voir avec l’Evangile :
Il ne suffit pas de nommer l’Esprit (lequel ?)oudeciter Jean-PaulIIpour assurer l’orthodoxie d’un propos. Ce n’est pas une transformation du christianisme que propose R. Panikkar, mais une trahison. Il est particulièrement douloureux de lire ces lignes sous la plume d’un prêtre catholique se présentant comme théologien. Sa pensée n’est tout simplement plus chrétienne, mais il a rejoint la nébuleuse du Nouvel Age appelant de ses vœux l’émergence d’une religion mondiale faisant l’impasse sur le salut offert en Jésus-Christ. Tout porte à penser que cette nouvelle religion, construite sur les ruines des traditions séculaires, sera l’œuvre d’une commission d’experts, chargée de rédiger les constitutions d’une religion faisant l’unanimité de tous les hommes religieux de la Planète…
Dans un tout autre style, l’auteur du Da Vinci Code rejoint cette thèse de l’abandon du christocentrisme – thèse qui est une revendication commune aux différents mouvements appartenant à la nébuleuse du Nouvel Age. Dans son premier ouvrage, Anges et Démons, D. Brown, donne la parole au Camerlingue qui dans un moment dramatique, s’exprime devant les Cardinaux réunis en Conclave ainsi que devant les télévisions du monde entier, pour décrire une religion « moderne », mais qui n’est plus « chrétienne » que de nom :
Le rôle de la religion se limiterait à accompagner le développement exponentiel de la science, incapable de prendre du recul devant ses découvertes et d’évaluer leurs conséquences. De plus la science ne répond pas à la question du sens et ne réserve aucune part au sacré, plongeant les hommes dans un désarroi chaque jour plus angoissant.
Sans doute la compassion est-elle au cœur du christianisme ; mais elle n’y est pas présentée comme une valeur simplement humaine. La vertu de compassion a été renouvelée et transfigurée lorsque le Fils de Dieu est venu partager notre condition humaine par pure compassion divine. Certes une généreuse philanthropie telle que la propose le Camerlingue, est tout à fait louable, mais elle n’est guère l’apanage des chrétiens. Ce qui spécifie le message et la religion chrétiennes, c’est la Bonne Nouvelle de la philanthropie divine manifestée en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, venu nous révéler la destinée surnaturelle de l’humanité. Toute compassion humaine demeure limitée en raison de la fragilité de l’homme : la mort finit toujours par avoir le dernier mot. Mais la compassion divine est venue vaincre notre antique ennemie : par sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ ouvre l’horizon d’une espérance illimitée. Ce n’est qu’en lui que la compassion prend son véritable sens, car en souffrant avec nous, il donnait à nos passions un poids d’éternité. La véritable compassion chrétienne est inséparable de l’annonce du Sauveur et du don de l’Esprit Saint consolateur, dont l’action transcende infiniment nos pauvres efforts humains auxquels il se joint.
Pour revenir à votre question et y répondre de manière provocante : le chrétien ne croit pas en Dieu, mais en Jésus-Christ, et au Père que le Fils unique nous révèle dans l’Esprit Saint, qu’il nous a donné pour nous « introduire dans la vérité toute entière » (Jn 16, 13). De manière générale, l’erreur de la théologie pluraliste des religions consiste à croire que cette centralité sur la personne du Christ serait aliénante ou irrespectueuse des autres approches religieuses. Nous croyons tout au contraire que c’est en Christ que l’aspiration religieuse de l’homme et les intuitions justes des autres religions trouvent leur accomplissement. Autant dire que nous ne pouvons pas ne pas annoncer le Christ, puisque c’est lui que nos frères des autres religions cherchent sans le savoir.