La théologie pluraliste des religions pense que pour favoriser le dialogue interreligieux, les chrétiens devraient renoncer à toute prétention de supériorité. Qu’en pensez-vous ?
Le dialogue interreligieux est certes indispensable à l’heure où la culture de chaque pays s’ouvre à la dimension planétaire. Mais ce dialogue suppose deux ou plusieurs interlocuteurs dignes de ce nom, c’est-à-dire représentatifs de l’identité de la Tradition à laquelle ils appartiennent. Il est clair que l’angle d’approche de chacun sera conditionné par sa propre foi, et que dès lors les accents seront notablement différents. Estomper les différences sous prétexte de vouloir arriver à un consensus ne serait pas respecter les conditions d’un vrai dialogue et ne porterait aucun fruit durable.
Cette « tentation » a séduit même des théologiens catholiques. Ainsi le Père Raimon Panikkar souhaite-t-il que le christianisme adopte une attitude plus « œcuménique » en acceptant de s’ouvrir passivement aux autres religions :
Certes, toute rencontre interpersonnelle devrait conduire à une démarche de conversion, impliquant un certain renoncement à soi. Nul besoin dans cette démarche de renoncer à l’Evangile, bien au contraire : il s’agit d’une mise en application de son message. Le dialogue œcuménique ne peut se développer que sur l’horizon d’une vraie charité, qui commence par le respect de l’interlocuteur et l’ouverture à tout ce que son message peut avoir de vrai, de bon, d’édifiant. Mais notre critère de discernement ne peut être que le contenu de notre propre foi, et non une subjectivité sans amarres. En supposant que l’opinion de mon interlocuteur non-chrétien parvienne à me faire douter de mon christianisme, j’aurais l’obligation en conscience de me retirer du dialogue œcuménique, n’étant plus représentatif de la foi chrétienne. Poursuivre les échanges alors que je n’adhèrerais plus au Credo de l’Eglise, serait à la fois trahir le christianisme et tromper mes interlocuteurs non chrétiens.
Le père Panikkar va beaucoup plus loin encore : selon lui, le christianisme ne pourrait survivre en Europe qu’au prix d’un renoncement à ce qu’il est, en vue d’une « résurrection » dans une forme nouvelle, où n’apparaîtrait plus « la spécificité de son message ». Ce qui revient pur et simplement à la négation du christianisme en tant que tel. « Survivre » à ce prix reviendrait à une apostasie doublée de lâcheté, car ce serait préférer la reconnaissance et la gloire qui vient des hommes à la fidélité au Christ qui nous a sauvés par le Sang de sa Croix. Soulignons encore que dans l’article cité, cette exigence de renoncement à ce qui lui est spécifique n’est posée qu’au christianisme.
Comment la théologie pluraliste des religions taite-t-elle ces différences qui selon vous subsistent de manière irréductible ?
Le parti pris de cette théologie est que les différences sont par définition secondes, voire secondaires ; elles résulteraient des multiples manières d’exprimer la même vérité dans des cultures variées. Le tout est alors de décider quelle expression de vérité fait autorité sur les autres. Cet apparent pluralisme peut facilement dévier vers une sorte de totalitarisme religieux, qui consiste à gommer les différences au nom d’une conception religieuse prédéfinie. Nous avions déjà souligné ce problème en présentant les principes de la « religion universelle » de Alice Bailey.
Dans cette perspective, les différences devraient céder le pas aux points communs, sur lesquels devrait se construire l’unité. Outre le fait – répétons-le – que ces différences sont loin d’être négligeables, s’ajoute que les points dits « communs » ne le sont souvent qu’au prix de simplifications outrancières. Ainsi on ne peut pas honnêtement conclure à une convergence entre deux Traditions, à partir d’une mise en parallèle d’un récit mythique et d’un récit historique. Citons la doctrine du « Christ avatar » comme exemple d’aberration à laquelle peut conduire une telle méthode. Nous ne construirons rien de durable à coup de simplifications historiques, épistémologiques ou théologiques. Le chemin ouvert par la Déclaration conciliaire sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes : Notra Aetate 2 , consiste plutôt à partir honnêtement de ce que les religions ont fondamentalement de commun, à savoir l’effort de « répondre aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd’hui, troublent profondément le cœur humain » (NA 1), mais sans effacer les différences tout aussi fondamentales. Le document commence par affirmer :
Il énumère ensuite les caractéristiques principales des diverses Traditions, en précisant :
L’Eglise encourage même les chrétiens à « reconnaître, préserver et faire progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent dans les autres religions » (Ibid.). Mais elle demeure convaincue que la Révélation divine atteint son caractère spécifique et définitif en Jésus-Christ, qui seul accomplit l’autocommunication du Dieu trine aux hommes. Voilà pourquoi, fidèle à sa mission,
Notes :