Votre analyse suggรจre quโil y aurait deux types de religions, essentiellement diffรฉrentes ?
Il faut effectivement distinguer entre les philosophies religieuses, qui proposent des voies dโaccรจs au divin, et les doctrines sโappuyant sur une rรฉvรฉlation divine ร proprement parler. Le premier groupe rassemble les traditions qui recueillent les rรฉflexions et les expรฉriences des sages des diffรฉrentes cultures, en rรฉponse ร la question du sens de la vie, en particulier de la place et du devenir de lโhomme au sein du cosmos – hindouisme, bouddhisme, taoรฏsme pour ne citer que les plus importantes. Par contre les religions rรฉvรฉlรฉes – judaรฏsme, christianisme, islam – prรฉtendent que Dieu sโest prononcรฉ sur les questions essentielles concernant son essence, lโidentitรฉ de lโhomme, sa mission et sa destinรฉe. Dire que Dieu sโexprime dans des paroles et des actions, quโil intervient dans lโhistoire pour signifier sa prรฉsence et son dessein, implique que Dieu soit un Etre personnel distinct de lโรชtre humain. La Rรฉvรฉlation se prรฉsente essentiellement dans une dimension dialogale qui suppose une Altรฉritรฉ divine sโintรฉressant ร lโhomme, une Subjectivitรฉ qui prend lโinitiative de communiquer avec nous par le biais de tรฉmoins privilรฉgiรฉs. Bien plus : un Dieu ami de lโhomme qui dรฉcide de sโouvrir ร lui, dans lโespoir de se faire connaรฎtre et aimer. Cette altรฉritรฉ irrรฉductible exclut dโamblรฉe toute forme de panthรฉisme, car si lโhomme รฉmanait de Dieu, il nโy aurait pas de vรฉritable dia-logue. De plus, Dieu ne serait pas un Sujet personnel, mais plutรดt un Etre divin en devenir, prenant conscience de lui-mรชme dans lโhomme. Le concept mรชme de Rรฉvรฉlation suppose tout au contraire que Dieu et lโhomme soient ontologiquement distincts : le Dieu transcendant est Cause premiรจre de lโordre naturel auquel appartient lโhomme, cet homme quโil a crรฉรฉ ยซ ร son image ยป afin quโil puisse entrer en relation avec lui. Cโest par son Dabar, sa parole agissante, que Dieu jette un pont au-dessus de lโabรฎme ontologique qui le sรฉpare de sa crรฉature rationnelle et libre. Pour le chrรฉtien, Jรฉsus-Christ, le Verbe incarnรฉ, est le Dabar ultime de Dieu, dans lequel il se rรฉvรจle et se donne pleinement ; cโest en lui que nous sont offertes en plรฉnitude ยซ la grรขce et la vรฉritรฉ ยป (Jn 1, 17) et que sโaccomplit pleinement la Rรฉvรฉlation de Dieu.
Les philosophies religieuses naturalistes ne sont donc pas rรฉvรฉlรฉes ?
On ne peut au sens strict parler de Rรฉvรฉlation que lorsque Dieu prend lโinitiative de se communiquer dans un รฉvรฉnement de Parole. Comme nous venons de le dire, cette Rรฉvรฉlation atteint son caractรจre dรฉfinitif et accompli en Christ, ยซ mรฉdiateur et plรฉnitude de la Rรฉvรฉlation ยป, selon lโexpression de la Constitution dogmatique Dei Verbum 1 sur la Rรฉvรฉlation divine, nยฐ2.
De fait, les philosophies religieuses naturalistes ne se fondent pas sur une parole rรฉvรฉlรฉe, mais sur la manifestation que Dieu donne de lui-mรชme dans la nature, ainsi que sur lโexpรฉrience intรฉrieure de lโhomme en quรชte du divin – expรฉrience reprise ensuite dans une rรฉflexion de type mรฉtaphysique. Ce qui prรฉsuppose que lโhomme serait capable dโatteindre ce divin par lui-mรชme, en cheminant jusquโau bout de la voie dโintรฉrioritรฉ. Il nโy aurait donc pas de discontinuitรฉ rรฉelle entre lโhomme (intรฉrieur) et Dieu. Plus exactement, lโhomme pourrait fusionner avec le divin immanent au plus profond de lui-mรชme, ร condition de rรฉgresser en amont de son individualitรฉ personnelle, qui le maintient dans lโextรฉrioritรฉ et dans lโillusion de la pluralitรฉ. Le divin immanent est habituellement identifiรฉ comme nous le verrons ร une Energie impersonnelle, qui constituerait le substrat de tout lโunivers visible et invisible. Toutes choses en รฉmaneraient, y compris lโhomme, qui serait donc divin par nature. La transcendance est abolie et le caractรจre personnel de Dieu, sโil est encore maintenu dans certaines traditions comme condition du cheminement de lโadepte, sโรฉvanouit ultimement dans la fusion avec lโAbsolu.
Nous pressentons bien que ces deux voies diffรจrent quant ร leur origine โ la dรฉcision de lโhomme de se mettre en quรชte du divin, ou lโinitiative de Dieu de se rรฉvรฉler ร lโhomme – et quant ร leur fin – la fusion avec le divin immanent ou la communion au Dieu personnel transcendant. Les chemins vont donc nรฉcessairement diverger : dโun cรดtรฉ les mystiques naturalistes atteignent le divin immanent par des techniques tendant ร suspendre lโactivitรฉ du sujet personnel, jusquโร ce que celui-ci se rรฉsorbe dans la non-dualitรฉ ; de lโautre les mystiques issues des traditions rรฉvรฉlรฉes sโefforcent dโaccueillir dans la foi la Parole dans laquelle Dieu se rรฉvรจle en se donnant. Rien dโรฉtonnant dรจs lors que les principes naturalistes proposรฉs par Alice Bailey aux fondements de la religion mondiale dont elle annonce la venue prochaine, ne correspondent en rien ร ceux des religions rรฉvรฉlรฉes.
Notes :
- Constitution dogmatique sur la Rรฉvรฉlation divine: Dei Verbum (dรฉsormais DV). [retour]