Plusieurs ouvrages ont été publiés, dénonçant avec beaucoup de compétence les approximations, imprécisions et dérives franchement mensongères de l’ouvrage de Dan Brown. Et pourtant, cela ne semble pas altérer l’enthousiasme des jeunes et des moins jeunes, qui continuent à se passionner pour les sujets abordés par l’auteur, alors qu’ils savent pertinemment qu’ils appartiennent au mythe et non à l’histoire ?
Nous touchons ici un des fruits du relativisme, fièrement étalé par notre culture postmoderne. Le relativisme consiste à nier le caractère objectif des valeurs, comme le vrai ou le bien. Le slogan du relativisme gnoséologique (c’est-à-dire dans l’ordre de la connaissance) pourrait être : « à chacun sa vérité ». Ce qui conduit dans l’ordre moral à l’affirmation complémentaire : « à chacun son éthique ». Mais il faut aller plus loin, car le relativisme tel que nous venons de le définir, se heurte encore aux exigences du réel : il ne vaut que dans les domaines qui échappent à une vérification empirique conduisant à l’évidence. Or c’est bien ce dont il s’agit dans notre cas. Le travail des historiens, qui ont mis en lumière les erreurs objectives dans le récit de D. Brown, devrait suffire à rallier même les tenants les plus farouches du relativisme gnoséologique. Lorsque l’auteur prétend que les parchemins découverts sur les bords de la Mer Morte inquiètent l’Eglise chrétienne, alors que ces documents ne mentionnent même pas la personne de Jésus-Christ, l’affaire devrait être entendue. Disons que la preuve scientifique s’impose même au relativiste, et du fait même, fixe les frontières du relativisme gnoséologique.
Or nous constatons tout au contraire que les découvertes de Qumram continuent à être invoquées dans un contexte polémique, dénonçant une Eglise cherchant à « cacher des secrets » ! Une telle attitude, qui défie le bon sens et surtout la science historique, ne s’explique que sur l’horizon d’un relativisme plus vaste, plus englobant, et disons-le : ontologique.
Pour comprendre une telle position extrême, il faut se référer à ce qu’il est convenu d’appeler le « channeling ». Le terme parle de lui-même : il s’agit d’un phénomène de spiritisme ou contact avec des « esprits ». Ceux-ci s’adressent à ceux qui veulent bien les entendre, par le biais d’un « channel » – d’un « canal » – c’est-à-dire d’un médium qui accepte d’être l’intermédiaire entre le monde des esprits et notre Terre. Depuis un demi-siècle, le nombre de personnes jouissant de facultés médiumniques et entrant en contact avec des entités en tous genres, a singulièrement augmenté aux Etats-Unis. A travers ces conversations avec « l’au-delà », tout un enseignement ésotérique est transmis, qui se trouve ensuite précieusement consigné en des ouvrages, dont la plupart deviennent des best-sellers. Le contexte global de ces discours est franchement moniste : l’univers est un tout indivisible dans lequel toutes les parties sont en interaction étroite grâce à la circulation incessante de l’énergie cosmique divine, d’où toutes choses émanent et dans laquelle tout finit par se résorber. L’individu humain est une de ces émanations multiples en route vers la pleine réalisation de sa divinité immanente. Dans l’étape actuelle de leur évolution, le travail des hommes consisterait à condenser leur pensée – pure énergie psychique – dans la matière et à réagir ensuite à ce qu’ils ont ainsi créé. Autrement dit, chacun d’entre nous serait créateur de son propre monde « objectif », qui ne serait que l’incarnation dans la matière de son univers mental 1. Il s’agit donc d’un idéalisme et d’un individualisme absolus, qui fonde un relativisme ontologique.
Sur cet horizon, l’historien a beau démontrer, preuves à l’appui, que D. Brown décrit des événements qui n’ont pas eu lieu objectivement dans le cours de l’histoire, son interlocuteur lui répondra : « ce que vous me soutenez décrit votre monde objectif. Certes je le respecte ; mais rien ne m’oblige à m’inscrire dans cet univers dont vous êtres l’auteur : s’il me plait de considérer que les choses se sont passées autrement, rien ne m’empêche de créer un monde où les Templiers sont fondés par le Prieuré de Sion, où Jésus s’est effectivement marié avec Marie-Madeleine, etc. Il ne sera pas objectif pour vous, mais s’il l’est pour moi, cela me suffit… »
Il est clair qu’un tel relativisme ne se situe pas dans la ligne d’une critique philosophique. Il se rattache plutôt au courant occulte, qui prétend à l’acquisition de l’omnipotence par la maîtrise des énergies occultes supposées divines. Nous ne sommes pas si éloignés de l’univers d’un certain Harry Potter.
Notes :
- Nous nous référons principalement à deux entités « célèbres » : Seth et Ramtha. La première communiquait avec Janes Roberts, la seconde se manifeste par la médium J. Z. Knight. [retour]