Lโorigine des runes est sans doute ร chercher du cรดtรฉ de lโorigine de lโรฉcriture. Au dรฉpart il sโagissait probablement de pictogrammes, c’est-ร -dire de symboles pour dรฉcrire des idรฉes naturelles (eau, feu, arbre, lune,โฆ). Les archรฉologues ont dรฉcouvert un certain nombre de ยซ pierres runiques ยป, qui prรฉsentent des signes alphabรฉtiques gravรฉs, bases dโun langage รฉcrit รฉlรฉmentaire. Stricto sensu, il ne faudrait pas parler dโ ยซ alphabet ยป (dโaprรจs les deux premiรจres lettres du grec : alpha/bรฉta), mais utiliser le mot Futhark, construit sur la sรฉquence des six premiers runes : F-U-Th-A-R-K. De 24 au dรฉpart (ยซ ancien Futhark ยป), le nombre des runes a รฉvoluรฉ selon le passage dans lโun ou lโautre pays, ou lโadoption par lโune ou lโautre tribu: 28, 29 et finalement 33 (ยซ Futhark anglo-frison ยป). Les runes disparurent avec lโextension du christianisme, puis reparurent avec les envahisseurs scandinaves, mais selon une sรฉquence bien plus courte de 16 runes (ยซ nouveau Futhark ยป).
Au fil des รขges, leur emploi sโest limitรฉ au cadre restreint de l’รฉsotรฉrisme. Le mot ยซ rune ยป viendrait du norvรฉgien ancien runar, ยซ secret ยป, ยซ mystรฉrieux ยป, d’oรน son sens actuel d’รฉcriture secrรจte, accessible ร quelques adeptes.
Le mythe ยซ Ginungagap ยป โ une des sources les plus archaรฏques de la tradition nordique – nous enseigne que c’est le Dieu Odin/Wodan en personne qui donna aux hommes l’รฉcriture runique. Odin/Wodan est le Maรฎtre de lโextase et de la sagesse. Il aurait subi lui-mรชme une รฉpreuve initiatique, racontรฉe dans le passage dรฉnommรฉ ยซ le dรฉnombrement des runes par Odin ยป, extrait du ยซ Havamal ยป. Il sโagit du rรฉcit du voyage chamanique dโOdin au cours duquel il devient dieu en acquรฉrant la connaissance. Cโest au terme de ce parcours initiatique quโil donne aux hommes les runes, alphabet magique et clรฉs des mystรจres. Odin devient ainsi lโinitiateur par excellence, le guide qualifiรฉ des domaines prรฉternaturels et le dispensateur des pouvoirs magiques par la maรฎtrise de lโusage des runes.
A mesure que leur sens รฉsotรฉrique et que les rรจgles de leur utilisation magique se perdirent, les runes ne furent plus utilisรฉs que comme support pour la divination : tirรฉs au hasard, les caractรจres runiques fournissent des rรฉponses divinatoires, un peu comme les tarots ou le Yi-King.
Les runes sโenracinent dans une tradition naturaliste complexe dont ils sont insรฉparables. Neuf mondes entourent lโarbre cosmique Yggdrasill, autour duquel sโaniment toutes les crรฉatures, reliรฉes par la toile du Destin (le ยซ Wyrd ยป). Ces neuf mondes se reflรจtent en lโhomme dans neuf (sept + deux) centres de forces (ยซ hvels ยป), dont la localisation correspond ร celle des chakras de la tradition tantrique – les deux centres supplรฉmentaires sont en fait inaccessibles.
Au cours des initiations successives, lโadepte doit traverser progressivement les sept mondes, pour sโidentifier ultimement ร Odin et devenir lui-mรชme lโarbre cosmique divin. Les runes sont ร la fois objet de contemplation (sous forme de ยซ mandala ยป), support pour la mรฉditation (mantra), boussole pour sโorienter entre les mailles du Wyrd, symbole efficace dans le rituel de magie รฉvocatoire ou opรฉrative.
Les runes constituent ainsi lโรฉlรฉment central dโun systรจme รฉsotรฉro-occulte dont les principes et les pratiques sont fondamentalement incompatibles avec la foi chrรฉtienne.