Père Verlinde,
ma question va peut-être déborder l'optique de ce forum... quoique.
Voilà, je suis en train de terminer un mémoire d'histoire religieuse. Mes recherches sur le 20e siècle dans la région que j'étudie montre un net changement de cap concernant l'Eucharistie.
Sommairement, dans les années 60, il y a une forte insistance sur le respect et l'amour que les chrétiens doivent donner à leur prochain; alors que, dans le même temps, tous les vieux prêtres qui décèdent un à un sont salués pour le don total d'eux-mêmes aux pauvres et en général à la communauté (chrétiens ou non). La différence - qui touche à la 'modernité' plus sensible avec les 30 Glorieuses - n'est pas dans l'esprit communautaire, mais plutôt dans le fait que les prêtres de l'époque n'acceptent plus l'idéal de sainteté (fondé aussi sur l'ayance, l'habitude..) de leurs prédécesseurs, et rêvent de toucher à cette modernité.
Pour le traitement de l'Eucharistie, deux forces sont en jeu (la troisième des paroissiens plus 'traditionnels', opposée, est alors vite disqualifiée par l'évêque qui les traita de "sclérosés") l'une à l'extérieur du clergé et l'autre à l'intérieur. Il y a d'abord eu une modification spatiale de l'autel, rapidement légitimée par le rappel négatif du prêtre "dos au peuple". Pour éviter tout "dos à Dieu", de nombreux retables, maîtres-autels ont été enlevés. En outre, les bulletins diocésains ont véhiculés des photos d'églises modernes (années 60) où les fidèles sont disposés en arc de cercle autour du nouvel autel. Un historien du protestantisme nomme cette disposition le "quadrangle choral", disposition qui a un sens théologique: le sacerdoce universel. Dans les paroisses, c'est plus complexe. Une conception peut dominer sans faire disparaître d'autres positions plus ou moins proches. Sur le sacerdoce universel, progressivement, des prêtres ont justifié au micro leur position en disant qu'ils n'étaient "que de simples animateurs". Progressivement, également, les chants ont changé de discours. L'Eucharistie est ainsi passée d'une nourriture de l'âme à une nourriture du corps. Ce qui, en pratique, ne veut rien dire puisqu'il faudrait consommer beaucoup d'hosties pour avoir l'estomac plein. Mais symboliquement, communier signifie partager avec son prochain: qu'il soit chrétien d'une autre Eglise, athée, agnostique, ou de n'importe quelle religiosité. Cela participe aussi à l'incompréhension de chrétiens en difficulté (divorcés-remariés par exemple) qui ne comprennent pas la communion spirituelle puisque cela leur interdit le partage avec le groupe.
Les historiens d'histoire religieuse sont unanimes pour dire que ce glissement est positif puisqu'il permet l'émergeance d'un humanisme vague et pacifique, anesthésiant toute guerre de religion future. Je le comprends fort bien, mais dans le même temps, je trouve cela profondément réducteur car Dieu semble exclu. Ou alors, la présence réelle du Christ serait relative au regard que l'individu porte sur l'hostie.
Je ne vous cache pas qu'en tant que catholique, cela me choque beaucoup. Néanmoins tous les éléments concordent: à l'époque le curé d'une paroisse a ainsi fait rétrécir le pied son calice, et le vocabulaire employé oscille uniquement entre festin, banquet, repas. Je ne nie pas ces réalités, mais c'est vraiment exclusif.
Alors, certes, ce flou sur l'Eucharistie a pour but l'unité des Chrétiens, et les communions interreligieuses se développent. Qui dit unité, dit paix, donc le but resterait de se rapprocher de Dieu. Mais dans le même temps, je remarque que cela occasionne une incompréhension de plus en plus grande des catholiques, non seulement pour les interventions du Pape, mais aussi pour tout ce qui concerne les vérités chrétiennes. Chacun prend ce qu'il veut, et imagine même que l'Eglise a tort de ne pas penser comme lui. Ce qui amène inéluctablement à votre propos dans "le Christianisme au défi des nouvelles religiosités".
Pour conclure - excusez la longueur du message - je pense à un vieux prêtre choqué lorsqu'il entendit le chant décrivant l'hostie comme la nourriture du corps. C'est révélateur: il prie pour l'Unité des chrétiens, il a vécu ses transformations spatiales des années 60 mais n'a pas suivi le mouvement théologique sous-jacent. Pour lui, l'hostie demeure la nourriture de l'âme. C'est sans doute le cas de nombreux catholiques qui pensent que tous les catholiques sont au moins d'accord sur de telles évidences. Quand je pense au discours du Pape de décembre dernier, ainsi qu'à toutes les voix catholiques qui disent "il faut redonner du sens", tout semble reposer sur le sens, donc un peu l'orientation. Qu'en pensez-vous?
Eucharistie
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Cela me rappelle ce que disait un évêque, réfléchissant tout haut devant une assemblée de plus de 300 personnes, à propos de la réforme liturgique ayant suivi Vatican I et II "au fond je me demande si l'église n'aurait pas un peu vite jeté le bébé avec l'eau du bain?".
Question : Avez-vous établi un lien entre les évolutions mentionnées et celle des vocations dans le clergé séculier? Ou avec la fréquentation des fidèles?
En tous cas, je suis preneur d'une copie de votre mémoire quand vous l'aurez terminé et présenté. Je vous souhaite le succès que vous désirez.
Noel
Question : Avez-vous établi un lien entre les évolutions mentionnées et celle des vocations dans le clergé séculier? Ou avec la fréquentation des fidèles?
En tous cas, je suis preneur d'une copie de votre mémoire quand vous l'aurez terminé et présenté. Je vous souhaite le succès que vous désirez.
Noel
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- Enregistré le : lun. 29 sept. 2003 13:16
Le père Verlinde vous renvoie tout simplement à la Lettre encyclique de Jean-Paul II « Ecclesia de Eucharistia » : l’Eglise vit de l’Eucharistie. Jusqu’au retour glorieux du Christ il se trouvera des « théologiens » qui chercheront par tous les moyens à se mettre au goût du monde - en oubliant un peu vite certaines paroles des Evangiles dans lesquelles Jésus nous dit que nous n’appartenons pas à ce monde. L’Evangile est par essence prophétique et doit le demeurer. Heureusement, nous avons un Magistère qui nous donne la ligne de pensée, l’interprétation juste des Evangiles pour notre temps. Alors pourquoi se scandaliser des originalités qui surgissent ? Revenons aux enseignements du Magistère et gardons la paix.
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- Enregistré le : lun. 29 sept. 2003 13:16
J’ajoute qu’il ne s’agit pas de « gober » bêtement ce que disent des prélats romains ! Il s’agit d’une question de foi : pour un catholique, la Révélation ne se limite pas à la seule Ecriture (comme pour nos frères protestants) ; mais inclut la Tradition et le Magistère. L’obéissance au Magistère fait donc partie de l’obéissance de la foi dont parle Saint Paul et qui seule conduit au salut.