Famille de Saint Joseph

Regard chrétien sur le Nouvel-Âge (3/5)

par | 7 octobre 2014

Le naturalisme du Nouvel Âge s’inspire principalement des Traditions orientales, redécouvertes à la fin du XVIIIe et tout au long du XIXe s. Puis dans la seconde partie du XXe s., les religions non chrétiennes hawaïenne, précolombienne, des Indiens d’Amérique, celtique font également leur entrée. De la fusion de ces sources multiples, émerge un syncrétisme, que l’on pourrait définir comme un émanationnisme énergétique, totalement incompatible avec le créationnisme judéo-chrétien, et appelé à supplanter définitivement ce dernier.

Cet intérêt pour les autres cultures religieuses, a été largement diffusé dans le grand public par les travaux de l’américain Joseph Campbell (1904-1987), qui a contribué plus que tout autre à répandre l’idée selon laquelle la science de la mythologie comparée prouverait que toutes les religions ont « une unité transcendante ». Selon notre auteur il serait cependant préférable de rechercher la forme originelle parmi les religions « orientées vers la nature », considérées comme plus universelles que les traditions issues d’une religion nationale – comme le judaïsme – enfermées dans les étroites limites d’un peuple particulier.

De son temps, le philosophe Arthur Schopenhauer (1788-1860) condamnait déjà la religion juive – et à travers elle toutes formes de théisme, du moins dans leur version monothéiste, dont le judaïsme est le paradigme : « L’intolérance n’est essentielle qu’au monothéisme. Un Dieu unique est, d’après sa nature, un Dieu jaloux, qui n’en laisse vivre aucun autre. Au contraire, les Dieux polythéistes, d’après leur nature, sont tolérants. Voilà pourquoi les religions monothéistes seules nous donnent le spectacle des guerres, des persécutions, des tribunaux hérétiques, comme aussi celui du bris des images des autres dieux, de la destruction des temples indous et des colosses égyptiens qui, pendant trois mille ans, ont regardé fixement le soleil ; c’est que leur Dieu jaloux avait dit : “Tu ne graveras pas d’image”, etc.[1] »

Au fil des années, le rejet du transcendantalisme judéo-chrétien n’a rien perdu de sa virulence. Un auteur aussi influent que Aldous Huxley ne se lasse pas de dénoncer les méfaits d’une religion dévouée à un Dieu personnel, citant l’exemple du Dieu « presque infra-humain » de l’Ancien Testament, « ce remarquable résumé de littérature de l’âge de Bronze », qui permet au croyant de « se justifier à donner cours à ses pires passions, par la réflexion qu’en agissant ainsi, il fonde sa conduite sur celle d’un Dieu qui éprouve de la jalousie et de la colère, qui est incapable de maîtriser sa rage, et se conduit en général comme un tyran particulièrement féroce. La fréquence avec laquelle les hommes ont identifié les incitations de leurs propres passions avec la voix d’un Dieu, hélas, trop personnel, est véritablement effrayante. Les croyances théologiques entraînant une conduite indésirable ne sont pas nécessairement associées au dogme de la personnalité de Dieu. Mais c’est un fait de vérité historique que les plus excentriques d’entre les erreurs théologiques ont été associées fort souvent à la croyance à la personnalité de Dieu. Le bhakti à l’égard du Dieu personnel du christianisme a été associé, d’un bout à l’autre de l’histoire de cette religion, au massacre en masse des païens et à la torture et à l’assassinat en détail des hérétiques. Il appartient à l’idéaliste rationaliste de revenir continuellement sur ce fait d’importance fondamentale. De cette manière, peut-être, il pourra mitiger les tendances pernicieuses qui, l’histoire le montre, sont inhérentes au chemin de la dévotion et à la croyance en une divinité personnelle, qui en est le corollaire[2]. »

Ce mot d’ordre d’un des maîtres à penser du Nouvel Âge peut expliquer les retours incessants dans toutes discussions avec le christianisme, sur les exactions (largement amplifiées !) dont cette religion se serait rendue coupable tout au long de son histoire ; sans bien sûr qu’il ne soit jamais question des actions héroïques de charité accomplies par les Saints au nom de ce même Dieu personnel.

La conception du divin proposée par le Nouvel Âge en opposition au Dieu Créateur transcendant judéo-chrétien, est dominée par une conception holistique (unitaire), moniste (une seule modalité d’existence : pas de distinction ontologique entre un Principe créateur et les créatures) et énergétique de l’univers visible et invisible.

« Ce qui est en haut et comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour que le principe d’unité soit respecté » (Hermès Trismégiste, Table d’émeraude). Il faut dès lors aborder le réel de manière globale, non fragmentée : tout est en interconnexion. Les mondes matériel, psychique et spirituel, constituent des émanations d’une seule et même Énergie divine en perpétuel devenir. Toutes les formes de vie ne sont rien d’autre que l’expression de la Vie divine une et unique en toutes ses manifestations.

Le Nouvel Âge prétend même s’appuyer sur les résultats des théories scientifiques contemporaines – particulièrement la physique quantique – pour démontrer l’identité entre esprit et matière. Mais il ne faut pas être un expert en épistémologie pour constater que nos auteurs interprètent en fait les résultats de la physique à la lumière de leurs axiomes métaphysiques a priori. Ainsi Baird T. Spalding n’hésite-t-il pas à écrire avec assurance : « Aujourd’hui de nombreux savants dissolvent toute la structure de la substance et la réduisent à une énergie originelle, identique à celle de l’Esprit. L’Esprit est omniprésent. On a découvert que tous les éléments se concentrent en un seul élément premier : l’énergie originelle. Cette énergie, en dernière analyse, n’est pas une force aveugle, mais intelligente. Cette énergie omniprésente, créatrice, derrière toute chose, est consciente d’elle-même, consciente de son action et de sa manière d’agir. C’est pourquoi nous l’appelons l’Esprit ou Dieu. Elle est omniprésente, omnipotente et omnisciente[3] ».

Dans cette vision qui récuse tout dualisme, anthropologie et théodicée ne font qu’un : « Nous sommes Dieu » affirme Shirley Mac Laine, qui formule ainsi une thèse centrale du Nouvel Âge, développée à l’infini selon toutes les harmoniques des sensibilités personnelles des différents auteurs. Citons encore Baird Spalding : « Il est impossible d’étudier la nature de Dieu sans prendre l’homme en compte et vice versa. L’homme est Dieu, Dieu est l’homme. L’un présuppose l’autre, ils sont inséparables. Sans l’un, l’autre n’existe pas. L’homme est divin en ce qu’il fait partie du Tout. Il est le Tout dans sa manifestation. L’homme représente l’incarnation visible de Dieu. Dieu, tel qu’on peut le voir, s’incarne dans la forme humaine[4] ».

L’anthropologie occulte ouvre à la connaissance des sept corps subtils – six corps énergétiques en plus de notre corps physique. Les deux sources de cette anthropologie sont (principalement) : l’hindouisme tantrique dont le Nouvel Âge a vulgarisé la doctrine des chakras, et les écoles ésotériques occidentales, de Paracelse à Papus.

Ce que nous prenons pour notre individualité, se réduit en fait à une série d’interactions au sein de l’Énergie divine, donnant lieu à des manifestations au niveau psychique et matériel, qui perdurent suffisamment dans le temps pour engendrer le sentiment d’une subsistance autonome. Mais notre réalité profonde ne saurait être affectée par la temporalité ; ce qu’elle est en soi et ce qu’elle sera pour l’éternité, ne peut qu’être identique à ce qu’elle a toujours été : Principe et Fin se confondent dans une même Essence divine intemporelle.

Le pèlerin de l’intériorité ne part pas à la rencontre d’un Dieu transcendant personnel, mais vise à faire l’expérience du divin immanent, qui peut être atteint grâce aux nombreuses techniques de méditation importées de l’Orient.

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[1] A. Shopenhauer, Parerga et paralipomena, Sur la religion, trad. A. Dietrich, F. Alcan, Paris, 1906, pp. 67-68.
[2] A. Huxley, La philosophie éternelle, trad. J. Castier, Plon, Paris, 1948, pp. 283-291.
[3] B. T. Spalding, Treize leçons sur la vie des Maîtres, J’ai lu, n° 5974, Paris, 1999, pp. 31-32.
[4] Id., pp. 113-116.

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