Une structure universelle
Le mot ยซ mandala ยป vient du sanscrit, et signifie ยซ cercle ยป ; sous-entendu : ยซ sacrรฉ ยป ou ยซ magique ยป. Mais dans la pratique, le terme dรฉsigne toute structure gรฉomรฉtrique fortement centrรฉe, et suggรฉrant une concentration de la pรฉriphรฉrie vers le cลur de la figure. Lโutilisation dโun terme sanscrit pour dรฉcrire une forme aussi gรฉnรฉrale est quelque peu malheureuse, car elle suggรจre que les mandalas seraient issues exclusivement de lโhindouisme ou du bouddhisme. Or toutes les cultures – y compris chrรฉtienne – ont crรฉรฉ leurs propres mandalas, qui constituent des supports symboliques particuliรจrement รฉloquents.
Du point au cercle et retour
La dรฉfinition d’une mandala repose sur trois principes d’organisation : le point central, le rayonnement de ce point, et la frontiรจre extรฉrieure circulaire.
Le point central symbolise le lieu du surgissement dans lโexistence spatio-temporelle. Le cercle et la sphรจre prennent naissance de lui : ils constituent lโexpansion naturelle du point central. Mais lโexpansion appelle un recentrement, comme lโexpiration suscite lโinspiration. Aussi le point central apparaรฎt-il รฉgalement comme lโaboutissement ultime du cycle, en qui le mouvement trouve son repos. Cโest pourquoi le point central symbolise non seulement la source, mais aussi la perfection de la totalitรฉ, l’unitรฉ retrouvรฉe, lโaccomplissement.
Le cercle trace la frontiรจre, la limite qui permet lโindividualisation. Par le fait mรชme, il est en rapport avec lโidentitรฉ manifestรฉe. Il protรจge le contenu sacrรฉ de la mandala, concentrรฉ en son point central.
Lโinterprรฉtation des mandalas
La signification particuliรจre des diffรฉrents lieux de la mandala dรฉpend de ce quโelle entend reprรฉsenter. Sโil sโagit dโune mandala cosmogonique, le centre de la figure reprรฉsentera le point mystรฉrieux oรน lโunivers surgit du nรฉant. Dans un systรจme naturaliste, ce centre reprรฉsentera le divin lui-mรชme ; cโest pourquoi le cลur des mandalas orientales constitue la demeure dโune divinitรฉ, parfois reprรฉsentรฉe dans la figure, mais le plus souvent invoquรฉe par un mantra. Pour le bouddhiste comme pour lโhindou, le mantra est l’รขme de la mandala. Il est clair dรจs lors que le chrรฉtien est invitรฉ ร sโabstenir de mรฉditer sur de telles mandalas, qui visent ร mettre le mรฉditant en relation avec une divinitรฉ particuliรจre de la Tradition de rรฉfรฉrence.
Mais cela ne signifie pas pour autant que tout usage de mandala soit proscrit : la mandala est la partie visible dโun symbole (sun-bolein, mettre ensemble) destinรฉ ร nous unir ร un Invisible qui reste ร prรฉciser. Il nโest quโune forme vide, nous aidant ร concentrer notre attention ; ร charge de chaque tradition de la ยซ remplir ยป de ses propres convictions. Ainsi les rosaces de nos Eglises romanes sont parmi les plus belles mandalas qui soient. Au cลur des figures concentriques, nous trouvons la figure centrale qui attire irrรฉsistiblement le regard et lโattention. Dans une rosace cosmogonique, celle-ci peut reprรฉsenter le Christ Pantocrator ; lโexpansion du centre dans les figures concentriques symbolisera la crรฉation de lโunivers comme le fruit de sa Parole toute-puissante et du rayonnement de lโamour divin. Le mouvement de retour au cลur de la rosace qui fait spontanรฉment suite ร lโexpiration, nous fera interprรฉter cette fois la figure centrale comme le Seigneur eschatologique, le Juge des derniers temps, qui aprรจs avoir dรฉtruit toutes les puissances du mal, remettra son pouvoir royal ร Dieu le Pรจre, ยซ afin que Dieu soit tout en tous ยป (1 Co 15, 24.28).
Un chrรฉtien ne peut quโรฉprouver un certain malaise ร attribuer le nom de ยซ mandala ยป – terme qui รฉvoque spontanรฉment les mystiques naturalistes orientales – ร une telle rosace, qui dรฉploie devant nous le mystรจre du salut et invite ร lโadoration du Christ des Evangiles. Mais comme il est trรจs difficile – voire impossible – de sโopposer ร la dรฉrive sรฉmantique des termes, retenons que la mandala nโest pas univoque : elle sera interprรฉtรฉe par chacun selon son propre systรจme de rรฉfรฉrences symboliques.
Des mandalas naturelles
Lโattraction exercรฉe sur les hommes de toutes cultures par la mandala vient probablement du fait que sa structure se retrouve dans bon nombre de phรฉnomรจnes naturels autour de nous : pensons aux diffรฉrents systรจmes solaires, centrรฉs sur lโรฉtoile qui en constitue le cลur, les planรจtes dรฉployant autour dโelle leur orbite respective. Les galaxies tout comme les amas de galaxies sont ร leurs tours centrรฉes autour dโun ยซ trou noir ยป qui attire tout ร lui. Si nous tournons nos regards vers lโinfiniment petit, nous retrouvons une structure analogue dans les atomes, et mรชme au cลur de ceux-ci, dans les noyaux atomiques. Entre le macro- et le microcosme, la nature dรฉploie sous nos yeux une infinitรฉ de mandalas, depuis la coquille dโescargot jusquโร la ruche des abeilles, en passant par les nids d’oiseaux ou les toiles d’araignรฉes, sans oublier la tranche de section d’une branche, d’une racine, d’un tronc ou mรชme d’un fruit, la corolle de la plupart des fleurs, et lโiris de lโลil qui nous permet de les contempler. Aussi nโest-il pas รฉtonnant que lโon retrouve des mandalas dans les expressions artistiques de toutes les cultures : mosaรฏques, gravures, sculptures, poteries, tissages, peinture sur tissu, sur toile, sur papier, etc. Comme les Temples reprรฉsentent le cosmos dans sa relation au Principe divin, ils sont en gรฉnรฉral construits sur base du principe architectural des mandalas.
Lโaction psychique de la mandala
Il est un autre point quโil convient de souligner. De par sa structure รฉvocatrice, le dessin d’une mandala agit sur le psychisme. Pour Carl Gustav Jung, la mandala pourrait servir de miroir au soi intรฉrieur : crรฉer une mandala, ou colorier une mandala dรฉjร conรงue, nous permettrait dโintรฉgrer les รฉnergies archรฉtypales de lโinconscient d’une maniรจre assimilable par la conscience. Quoi quโil en soit, la contemplation dโune mandala nous aide ร nous rรฉunifier en nous attirant vers son centre, qui correspond ร notre intรฉrioritรฉ profonde ; et elle nous aide ร intรฉgrer les diverses expressions de nous-mรชmes en nous ressaisissant ร lโintรฉrieur du cercle bien dรฉlimitรฉ de notre identitรฉ personnelle. La mandala favorise ainsi le rรฉรฉquilibrage entre lโagir centrifuge et le recueillement centripรจte, dans un mouvement de pulsation qui permet de ramener notre activitรฉ ร notre intรฉrioritรฉ, et ร nous exprimer en vรฉritรฉ dans une action qui procรจde de notre centre intรฉrieur.
Lโaction spirituelle de la mandala
Dans une perspective croyante, ce centre intรฉrieur nโest autre que la conscience,
Il est certain que la ยซ respiration ยป qui se dรฉgage de ces structures concentriques harmonieuses, nous conduit spontanรฉment au silence et ร la paix. Cโest bien pourquoi les iconographes ont intรฉgrรฉ le principe de la mandala dans leurs ลuvres : lโicรดne est centrรฉe sur le cลur du personnage central, dโoรน rayonne la Rรฉvรฉlation du Transcendant invisible.
Des mandalas pour tous les รขges
Il nโy a donc rien de choquant au fait dโinviter les enfants ร crรฉer ou colorier des ยซ mandalas ยป comme cela se fait dans certaines รฉcoles. Comme nous le disions en commenรงant, cโest plutรดt lโusage dโun terme sanskrit pour dรฉsigner une structure ร caractรจre universel, qui est ambigรผe ; car cette terminologie suggรจre implicitement que les mandalas seraient dโorigine orientale ou que les mandalas orientales seraient ยซ supรฉrieures ยป aux autres. Comme la mode actuelle en France est au bouddhisme tibรฉtain, qui fait largement usage des mandalas dans ses rites initiatiques, il nous faut veiller ร ne pas laisser sโinstaurer cette confusion chez nos enfants.
Notes :
- Concile Vatican II, Constitution pastorale sur lโEglise dans le monde de ce temps : Gaudium et Spes, 16. [retour]