Pรจre Joseph-Marie, vous rรฉagissez contre la banalisation inquiรฉtantes des pratiques magiques. Mais ne trouvons-nous pas une forme de ยซ magie chrรฉtienne ยป dans ce que nous dรฉsignons par le terme de ยซ superstition ยป ?
Le terme latin ยซ superstitio ยป dรฉrive du verbe ยซ superstare ยป : se tenir au-dessus, dominer. Mais il renvoie aussi ร ยซ superstes ยป, le tรฉmoin, celui qui atteste quโun รฉvรฉnement passรฉ a bien eu lieu ; de lร le devin, celui qui tรฉmoigne de faits quโil nโa pas vus sensiblement. Superstitio en est ainsi venu ร dรฉsigner la divinisation, puis les pratiques magiques au sens large, enfin une forme pervertie de religion, mรชlant des รฉlรฉments ou des pratiques occultes au culte authentique. Saint Augustin propose une liste impressionnante de pratiques superstitieuses, allant du port dโamulettes aux pactes avec les dรฉmons, en passant par les diffรฉrentes pratiques magiques. Mais votre question portait plus spรฉcifiquement sur les formes de superstition internes au christianisme, cโest-ร -dire des formes perverties de pratiques appartenant au culte chrรฉtien. Cโest sous cet angle que saint Thomas aborde la question de la superstition dans la Somme Thรฉologique. Il y dรฉfinit la superstition comme ยซ la religion pratiquรฉe avec excรจs ยปThomas dโAquin, ยซ Religio supra modum servata ยป, 1.
Si la vertu de religion consiste ร rendre ร Dieu lโadoration qui lui est due, comment pourrions-nous la pratiquer ยซ avec excรจs ยป ? Vous me voyez perplexeโฆ
Il faut que je prรฉcise le sens de cette expression. Sโappuyant sur Aristote, saint Thomas explique que le terme ยซ excรจs ยป nโest pas ร prendre ici au sens quantitatif. Il signifie dans notre contexte, que la dรฉvotion nโest pas rendue ร qui de droit, cโest-ร -dire ร Dieu seul ; ou quโelle est pratiquรฉe dโune maniรจre indue. Rendre un culte ร une crรฉature est un acte dโidolรขtrie qui appartient ร la premiรจre ยซ espรจce ยป de superstition. Vouloir soustraire ร Dieu ยซ de force ยป des informations par divination fรปt-ce dans un contexte ยซ chrรฉtien ยป est un acte de superstition de la seconde espรจce.
Pourriez-vous illustrer cette seconde espรจce par un exemple ?
Je pense ร certains excรจs dans lโutilisation de la Parole de Dieu. Ouvrir la Bible ร tout bout de champ pour ยซ obliger ยป Dieu ร rรฉpondre ร nos demandes est une forme de divinisation superstitieuse. Pour saint Augustin, repris par saint Thomas, une telle procรฉdure peut mรชme ยซ mettre en jeu lโactivitรฉ des dรฉmons ยป.
La superstition peut-elle sโinsinuer jusquโau cลur de pratiques cultuelles autorisรฉes ?
Je mโappuierai encore sur saint Thomas pour vous rรฉpondre. Le but de notre culte ne peut รชtre que la gloire de Dieu et lโoffrande de tout notre รชtre en rรฉponse ร son initiative de salut en Jรฉsus Christ, notre Seigneur. Dรจs lors, tout ce que nous mรชlons au culte qui ne contribue pas ร cette fin, est de lโordre de la superstition. La question est importante, car le culte exprime en gestes et en symboles les vรฉritรฉs de la foi : la liturgie est le premier lieu de catรฉchรจse. Cโest pourquoi le cรฉlรฉbrant doit avoir le souci dโaccomplir fidรจlement le rite que lโEglise lui a confiรฉ. Cependant, un excรจs dโattention au rite dans son extรฉrioritรฉ, ou un formalisme excessif, peuvent devenir superstitieux dans la mesure oรน ils dรฉtournent lโattention de la finalitรฉ exclusivement spirituelle de lโaction liturgique.
Notes :
- Somme Thรฉologique, IIa IIae, 9.92-96. [retour]