l'âme sans péché et le corps pécheur

Verrouillé
adeline

l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par adeline »

Puisque nous sommes créés par Dieu en tant qu’âme et par nos parents en tant que corps pourquoi Dieu emprisonne-t-il notre âme dans ce corps d’où procède le péché, la souffrance et la mort?
Pourquoi nous soumettre à cette dure épreuve de la vie terrestre? Je ne vois pas la nécessité d’être une âme dans un corps durant quelques années de vie, si l’âme, une fois délivrée de son enveloppe corporelle, doit retrouver le ciel définitivement?
D’où vient que Dieu ne puisse échapper à cette nécessité qu’est la terre?
Jésus s’épargnerait beaucoup de douleurs si son Père des cieux se satisfaisait de nous créer en tant qu’âmes sans l'implanter dans un corps mortel.
Si Dieu nous crèe en tant qu’âmes désincarnées, c'en est fini de la procréation humaine, nous demeurons au ciel sans passer par la terre, économisant ainsi d’innombrables souffrances.
Seul le corps est pécheur, l'âme ne peut pécher puisqu'elle procède directement de Dieu. Supprimons le corps définitivement et l'immense et insupportable misère humaine sera aussitôt abolie. Quelle délivrance pour le Chris dispensé du Golgotha et pour nous.

P.Joseph-Marie

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par P.Joseph-Marie »

Sans le vouloir, votre propos est profondément dualiste. Vous retrouveriez cette approche chez Platon, voire chez Descartes (avec des nuances bien sûr). D’un côté le corps, de l’autre l’âme, le cors étant la prison de l’âme, dont celle-ci est toute heureuse de s’échapper enfin à la mort.
Ce n’est pas du tout la conception biblique de l’homme : je ne possède pas un corps, mais je suis mon corps. Je suis plus exactement un esprit incarné. Pas un pur esprit comme le sont les Anges, pas de la simple matière comme les animaux qui nous entourent. Ceux-ci qui possèdent certes un principe vital – une « âme sensitive » comme les plantes possèdent une « âme végétative » - mais sans transcendance : il s’agit d’un principe purement immanent, fonctionnel. L’homme est en quelque sorte « citoyen de deux mondes », le plus petit dans le monde des esprits, parce qu’il est lié à la matière, et infiniment plus grand que tout ce qui vit dans la matière, parce qu’il est ouvert par la fine pointe de son âme spirituelle vers la Transcendance divine. Cette position médiane définit aussi sa vocation propre, qui est de spiritualiser la matière, c'est-à-dire de donner à l’ordre créé son accomplissement par l’accueil de l’Esprit Saint. Je lis en Romain 8 : « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise c'est avec l'espérance d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement » (Rm 8, 19-22).
Ainsi donc le triste état dans lequel nous sommes, à savoir cette opacité de la chair à l’esprit et cette difficulté à maîtriser les pulsions animales de notre dimension somatique, tout cela peut se mettre au compte des conséquences du péché des origines, qui a obscurcit le regard de notre âme, et nous a privé de la lumière divine.
Ne jouissant plus de la vision de Dieu, nous nous sommes tournés vers les créatures, et hélas nous l’avons idolâtrée, lui demandant de nous procurer ce que Dieu seul peut nous offrir. Nous sommes ainsi devenus prisonniers des désirs inférieurs, du fait qu’ils ne sont plus intégrés dans les désirs supérieurs.
Ce n’est évidemment pas le corps qui est pécheur, mais moi, sujet libre, esprit incarné dans ce corps, qui n’a pas su orienter les passions de mon âme vers la finalité surnaturelle de ma vie. De là la mort et son cortège de souffrances, que Jésus est venu assumer précisément pour les féconder de vie divine. Par le don de son Esprit, il nous rend capables de reprendre notre mission première de prêtres, prophètes et rois de la création, chargés de faire monter vers Dieu la louange silencieuse des créatures, et de saturer tout le créé de la vie surnaturelle de la grâce.

jean-luc

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par jean-luc »

Merci, mon Père, pour votre patiente explication.
Vous me dites que "ce n'est pas mon corps qui est pécheur mais moi, sujet libre, esprit incarné dans un corps". Justement c'est ce que je ne comprends pas. Cet esprit que je suis ne vient-il pas du ciel où Dieu Lui-même l'a créé tandis que mon corps vient directement du lit de mes parents?
Comment cet esprit façonné par Dieu peut-il pécher c'est ce que je ne parviens pas à comprendre. Cet esprit originaire du ciel divin n’est-il pas parfait? Ce qui est parfait peut-il pécher? Si, oui, alors Dieu Lui-même pourrait pécher? Cela est-il vraisemblable?
Vous me dites que mon propos est dualiste. Je l'admets, mais l'Eglise elle-même quand elle distingue le corps conçu par mes parents de chair et l'âme façonnée par Dieu Lui-même, n'est-elle pas dualiste?
Je veux bien admettre que je suis un esprit incarné mais il n'empêche que ce corps mourra alors que l'âme ressuscitera. N'est-ce pas une pensée dualiste? Il est vrai que lorsque le moment sera venu de nous juger nous serons partagés en deux: d'un côté, notre défroque humaie sera jetée à la poussière du temps, tandis que l'âme s'élevera dans le ciel.
Depuis que je suis petit et que je vais au catéchisme j'ai été entretenu dans cette idée que chacun de noius est bien une âme et un corps, un esprit habitant dans un corps et que l'unité temporelle de ces deux entités distinctes cessera. Ai-je vraiment tout faux? Dites-moi, s'il vous plait, à quel moment je me trompe. Avec mes sincères remerciements. Jean-Luc

P.Joseph-Marie

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par P.Joseph-Marie »

Je ne suis pas sûr de parvenir à répondre à toutes vos questions d’un seul coup, mais l’important est de commencer.
Prenons la comparaison avec la Trinité, puisque l’homme est créé à l’image de Dieu. Dans la Trinité, les Personnes sont des « relations subsistantes » (Saint Augustin) ce qui veut dire qu’elles sont purement relationnelles. C’est en ce sens que nous disons que Dieu est « Esprit ».
La matière, elle, n’est pas relationnelle, et c’est bien pourquoi elle est opaque. Elle n’était pas ainsi aux origines : j’en veux pour preuve le Corps glorieux de Jésus ressuscité, qui est totalement spiritualisé, c'est-à-dire totalement relationnel. Cette opacité, ce repli sur soi de la matière, est une conséquence du péché, qui est toujours de l’ordre d’une rupture de relation.
Or nous sommes des esprits incarnés ; qu’est-ce à dire ? Nous sommes des êtres en relation – c’est notre dimension spirituelle – avec Dieu lui-même qui nous porte dans l’existence, et avec les autres. Mais nous prenons conscience de cette capacité du fond de notre incarnation, c'est-à-dire du fond de notre corps matériel, qui lui n’est pas relationnel. D’où l’antagonisme que nous vivons entre le désir de nous donner aux autres dans une relation d’amour, et le repli égoïste sur nous-mêmes, qui constitue l’essence du péché.
Certes nous recevons notre dimension somatique de nos parents, mais au fond de ce corps s’éveille la capacité relationnelle, consciente et libre, qui spécifie l’homme au sein du règne animal. Et cette capacité ne nous est pas donnée par notre génotype : elle s’éveille en nous en réponse à l’appel de Dieu qui se fait entendre au fond de notre conscience. C’est cet appel personnel de Dieu qui nous éveille à la dimension spirituelle de notre existence. Mais comme nous sommes un « esprit incarné » et non pas un « esprit dans un corps », nous ressentons douloureusement la contradiction à laquelle je faisais allusion à l’instant.
La mort est un état de violence par lequel l’âme spirituelle est séparée de ce corps précisément parce qu’il est marqué par le péché au point de ne pas pouvoir être totalement spiritualisé. Les corps de Jésus et de Marie par contre, n’étant pas marqués par le péché, sont « montés au ciel », c'est-à-dire qu’ils ont été totalement spiritualisés. C’est pourquoi on parle de la « dormition de Marie », pour signifier qu’elle n’a pas vécu cette déchirure entre le corps et l’âme, qui constituent ensemble une unité. Saint Thomas dit très bien que cette séparation de l’âme et du corps à la mort, est une violence pour l’âme, car celle-ci est faite pour être unie à un corps ; même dans l’au-delà, l’âme est en attente de ce corps de gloire qu’elle recevra à la fin des temps. Alors seulement sa béatitude sera totale, lorsqu'elle sera à nouveau unie à un corps, mais glorieux cette fois. C'est cela que nous entendons en théologie lorsque nous parlons de la résurrection finale.

adeline

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par adeline »

Mon Père,
Ne m’en veuillez pas de vous questionner de nouveau, mais il me semble que la chose a de l’importance.
Vous employez les formes verbales “un esprit dans un corps” et “un esprit incarné”.
Pour vous ces deux fomules ne disent pas la même chose et même elles s’opposent.
Que veut dire le mot “in-carné” sinon “dans la chair”?
Pourriez-vous avoir la patience de reprendre votre explication car j’avoue ne pas saisir la différence si évidente à vos yeux entre “un esprit dans un corps” et “un esprit incarné”.
Cet esprit créé par Dieu ne vient-il pas directement du ciel? Est-ce bien Dieu qui l’implante dans notre corps au moment, comme vous le dites ailleurs, de notre conception? Cet esprit ne nous quitte-il pas à notre mort pour regagner le ciel d’où il vient, laissant là notre corps né de la chair de nos parents?
A quel moment pour vous s’établit donc la différence entre “ l’esprit dans le corps” et “l’esprit incarné” et de quelle façon?
Comment ne pas faire la confusion?
Encore Merci.

adeline

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par adeline »

Pardonnez-moi, mon Père, encore une fois d'abuser de votre patience mais votre réponse au texte de Jean-Luc est si dense que j'ai envie de vous questionner de nouveau.
J’avoue ne pas saisir ce qu’est cette “opacité de la matière” dont vous parlez.
“La matière dites vous n’est pas relationnelle”. J’ai du mal à comprendre une telle phrase en regard d’un livre de biologie par exemple.
N’est-ce pas la relation qui constitue le vivant comme nos pensées? Une cellule isolée, une molécule opaque c'est impensable et impensé sauf par Leibniz. Nous ne sommes pas des monades mais des "existants" qui ne savent survivre qu'en établissant des réseaux de relations actives avec nos contemporains. Il en est ainsi du travail, de l'amour, et même de la souffrance. Le monde des abeilles, celui des fourmis n"existerait pas s'il n'était pas constitutivement inter-relationnel.
Que vaut votre propre discours sinon qu’il institue des relations déjà formulées ou inédites entre des idées par le moyen des mots dont celles-ci sont faites?
La matière d’un roman n’est-elle pas faite des relations fictives établies à travers une histoire, donc dans l’espace et le temps, entre des personnages. Ce sont bien ces relations simulant par le moyen d’une fiction des relations réelles et leurs évolutions qui sucitent notre intérêt. Qu'est-ce que je n'ai pas compris?

P.Joseph-Marie

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par P.Joseph-Marie »

Parler d’un esprit dans un corps signifie que l’âme serait une entité indépendante du corps. Platon parlait du corps comme d’une « prison de l’âme ». Et puisque le sujet personnel est du côté de l’âme spirituelle, il disait : « je suis un esprit enfermé dans un corps matériel ».
Il n’en est pas ainsi pour l’anthropologie biblique. Le sujet personnel est un « esprit incarné », qui affirme : « je suis mon âme et je suis mon corps », car les deux (l’âme et le corps) sont inséparables, même s’il faut les distinguer. Aristote disait : l’âme est la « forme » du corps, le terme forme étant entendu au sens métaphysique : principe d’existence et d’action. Saint Thomas reprendra cette approche que l’Eglise a adoptée.
D’où la question : comment l’âme peut-elle se séparer d’un corps si elle ne fait qu’un avec lui ? C’est précisément là le drame de la mort : l’âme est comme « arrachée » au corps, et comme je le disais, elle demeure dans un état de violence jusqu’à ce qu’elle soit à nouveau unie à un corps (glorieux).
Pour Platon, la mort n’a rien de dramatique, bien au contraire : elle est sortie de prison. Pour le sémite, la mort est déchirure, elle est contre-nature. C’est bien ce que nous dit le livre de la Sagesse : Dieu n’a pas voulu la mort, qui est entrée dans le monde comme conséquence du péché.
Lorsque la Bible nous dit dans un langage imagé que Dieu insuffle un « esprit » dans le corps conçu par les parents, il faut entendre qu’il appelle cet être corporel à une relation personnelle avec lui, et c’est cet appel qui le surélève au-dessus de la condition animale. C’est l’appel de Dieu qui éveille la conscience de l’être humain, de sorte que celui-ci n’est plus simplement immergé dans la matière, mais ouvert sur la Transcendance, et par le fait même peut s’ouvrir au mystère de l’autre en humanité.
On comprend dès lors que la mort ne peut pas interrompre cette relation dont Dieu a pris l’initiative. La relation avec le corps est interrompue, mais la relation personnelle au Créateur subsiste. Au moment de la mort, chacun de nous prendra pleinement conscience de cette relation dont nous n’avons habituellement qu’un vague pressentiment.

P.Joseph-Marie

Re: l'âme sans péché et le corps pécheur

Message par P.Joseph-Marie »

Nous ne prenons peut-être pas le terme relationnel dans le même sens. Certes, il y a de la relation en toute chose : entre les atomes au sein d’une molécule et entre les quarks au sein du noyau, il y a des échanges énergétiques et donc des relations. Mais ce n’est pas en ce sens que je l’entendais comme vous pouviez le deviner à partir de ma comparaison avec la Trinité. Je parlais d’une relation intentionnelle, c'est-à-dire spirituelle.
Il est vrai que je ne mettrai pas comme vous semblez le faire, une stricte continuité entre les relations entretenues dans une ruche d’abeille est les relations au sein d’une famille humaine…
A force de souligner les continuités, on finit par perdre le fameux « saut de la transcendance » qui spécifie l’être humain.

Verrouillé