orthodoxie - sens du sacré

Verrouillé
Julien

orthodoxie - sens du sacré

Message par Julien »

Une deuxième question me trouble un peu. Hier, comme j'étais à l'église orthodoxe pour leur Pâque, il y eut ensuite des agapes au cours desquelles une amie orthodoxe m'a présenté son fiancé "catholique non pratiquant".
Le prêtre orthodoxe est venu à notre table pour discuter et il entama une conversation avec ce jeune homme. Avec beaucoup de bonhommie, il lui demanda comment il avait trouvé la cérémonie, ce qu'il en pensait. Et ce garçon de répondre qu'il avait été marqué par l'espèce de saint des saints qui est d'ordinaire fermé aux fidèles. Le prêtre lui demanda alors s'il savait d'où venait le fait que l'autel des églises catholiques n'était plus tourné vers Dieu, mais vers le peuple. L'autre ne sachant que répondre, le prêtre lui conseilla de vérifier qui constituait la commission qui fit Vatican II... en ajoutant qu'il y trouverait des protestants. Et de fait, selon lui, le pasteur protestant est tourné vers ses fidèles.
Je trouve que c'est un peu gonflé parce que, même s'il me semble bien que des membres d'autres religions avaient été présents au concile en tant qu'observateurs, ce n'est tout de même pas les protestants qui gouvernent l'Eglise. Ca se saurait!
En entendant cette conversation, et n'étant pas capable de défendre suffisamment bien l'Eglise sur ce point, j'ai préféré intervenir en changeant de sujet. C'est alors qu'une dame est intervenue dans le débat en disant qu'ils n'étaient pas comme les catholiques... et découvrant que nous en étions, elle s'excusa avec empressement. C'était une ancienne catholique convertie à l'orthodoxie.
Pourriez-vous, mon père, m'expliquer de quoi il retourne quant à la modification du sens de l'autel? Merci à vous.

P. Joseph-Marie
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Message par P. Joseph-Marie »

Les spécialistes sont loin d’être d’accord sur le fait - souvent rapporté comme argument - selon lequel la célébration « face au peuple » remonterait à une antique tradition. Dans la basilique de l’Eglise primitive, l’autel aurait été au centre, au milieu de l’abside du chœur, et le prêtre aurait célébré le visage tourné vers le peuple. Rien n’est moins sûr, comme le confirme le Père Louis Bouyer.
Là où le prêtre célébrait face au peuple, comme par exemple dans la Basilique Saint Pierre de Rome, la raison est tout simplement que l’Eglise est orientée non pas vers l’Est mais vers l’Ouest. Ce n’est donc pas « face au peuple » que célèbre le président, mais face à l’orient, comme le soulignait déjà Saint Augustin, « pour que l’esprit soit exhorté à se tourner vers une nature supérieure, à savoir Dieu », symbolisé par le soleil levant.
C’est avec la Réforme, l’Eucharistie devenant simplement le mémorial du repas fraternel entre Jésus et ses disciples, que l’autel fut tourné vers les fidèles (explicitement exigé par Luther pour la célébration de la cène).
Il est intéressant d’entendre l’avis du card. Ratzinger sur la question : « Après le Concile, qui lui-même ne mentionne pas de “se tourner vers le peuple”, on disposa partout de nouveaux autels, tant et si bien que l'orientation de la célébration “versus populum” parait être aujourd'hui la conséquence du renouveau liturgique voulu par le concile Vatican II. En fait l'orien¬tation “versus populum” est l'effet le plus visible d'une transformation qui ne touche pas seulement l'aménagement extérieur de l'espace litur¬gique, mais implique une conception nouvelle de l'essence de la litur¬gie : la célébration d'un repas en commun. Cette notion résulte non seulement d'une fausse interprétation du sens de la basilique romaine et de la disposition de son autel, mais aussi d'une compréhension pour le moins approximative de ce que fut la sainte Cène » (L’esprit de la liturgie, p. 65).
Remarquons que même si le Congrégation des rites (1964) a encouragé la construction d’un autel majeur permettant la célébration « face au peuple », aucun document (ni du Concile ni d’une autre autorité) n’a jamais imposé la célébration « face au peuple » ou interdit la célébration « dos au peuple ».
La célébration « face au peuple », il faut bien le reconnaître, n’est pas sans danger. Elle survalorise la personne du prêtre qui se trouve au centre de l’attention, alors que l’Acteur principal est le Christ : c’est vers lui que doit se tourner toute l’attention de l’assemblée. Le risque n’est pas illusoire que la communauté se replie sur elle-même au lieu d’être orientée par le mouvement même de l’assemblée et par le mouvement du prêtre, vers un au-delà d’elle même dont elle attend le salut. Le prêtre ne célébrait pas « dos au peuple », mais le peuple faisait monter ses prières avec et dans celles du prêtre, vers Dieu. Il ne faudrait pas dire que le prêtre célèbre « dos au peuple », mais « du même côté que le peuple », et le sens serait du coup beaucoup moins péjoratif.
Le risque majeur demeure cependant de faire glisser le sens de l’Eucharistie d’un sacrifice rédempteur à celui d’un repas fraternel.

Arno

Et vous célébrez comment ?

Message par Arno »

J'ai cru comprendre que vous considérez qu'il est préférable de célébrer en adoptant l'orientation vers l'est, ce qui fait que le prêtre est "dos au peuple"

Pratiquement, célébrez-vous ainsi ou bien face au peuple en raison de la pratique générale qui s'est répandue en France (pour ne pas perturber les gens) ?

Julien

réponse

Message par Julien »

merci beaucoup pour votre réponse précise et très éclairante.

P. Joseph-Marie
Messages : 1327
Enregistré le : 5 sept. 2003

Re: Et vous célébrez comment ?

Message par P. Joseph-Marie »

Arno a écrit :J'ai cru comprendre que vous considérez qu'il est préférable de célébrer en adoptant l'orientation vers l'est, ce qui fait que le prêtre est "dos au peuple"
Pratiquement, célébrez-vous ainsi ou bien face au peuple en raison de la pratique générale qui s'est répandue en France (pour ne pas perturber les gens) ?
Je célèbre face au peuple, et je ne célèbre même pas face à l’orient, étant donné que notre chapelle est une grange (très bien) aménagée. Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir exprimer physiquement – c'est-à-dire liturgiquement – ce symbole de l’orientation vers le soleil levant, mais ce n’est pas essentiel à la validité du rite. Je me tourne en pensée vers le Christ qui vient, lui le vrai Soleil de nos vies.
Quant à la célébration « face au peuple » ou « dos au peuple », nous avons sur la colline une petite chapelle à Saint Joseph où l’autel est au pied de la statue de notre Saint Patron, et où nous célébrons donc « dos au peuple ». Par contre dans la chapelle ordinaire, pour ne pas susciter les polémiques et les accusations stériles d’intégrisme, je célèbre face au peuple. Lorsque je célèbre seul, je célèbre face au crucifix et pour cela je me tourne « dos au peuple (hypothétique) ».
Certains considèrerons ces concessions comme des démissions ; de nos jours, je crois qu’il ne faut pas accumuler les obstacles sur le chemin de l’unité. Non seulement l’unité avec nos frères protestants, mais aussi l’unité entre catholique. Il y a des sujets plus brûlants que celui-là, même si je ne le minimise pas, car « lex orandi, lex credendi ». La liturgie nous enseigne notre foi. D’où l’importance de bien la réfléchir afin de ne pas perdre certains aspects en en survalorisant d’autres. Mais je serais très étonné si Benoît XVI ne faisait pas quelques mises au point liturgiques, car il a beaucoup travaillé ces questions et a un sens affiné de la liturgie.

Verrouillé