donner la vie, donner la mort par amour

Verrouillé
suzanne.b

donner la vie, donner la mort par amour

Message par suzanne.b »

Je pense que comme moi, beaucoup de mères donneront raison à Madame Humbert qui eu le courage de donner la mort à son fils comme elle lui a donné la vie.
La souffrance de ce fils téraplégique, muet et quasi aveugle était aussi intolérable qu'inutile.
Après tout, çela fait 2000 ans que nous avons l'exemple sous les yeux d'un Dieu qui met à mort son Fils pour sauver l'humanité de la mort définitive.
Es-ce si différent, je ne le pense pas.
D'un acte meurtrier qui est un mal, Dieu tire un bien, le salut des hommes.
Depuis 2000 ans, nous tirons bénéfice d'un crime offert en sacrifice de nos péchés.

P. Joseph-Marie
Messages : 1327
Enregistré le : 5 sept. 2003

Message par P. Joseph-Marie »

Je me suis permis de diviser votre question, car il me semble que vous abordiez deux sujets différents : l’euthanasie et l’avortement. Il me semble qu’ils sont trop complexes pour être confondus. Je ne suis (techniquement) pas parvenu à recomposer une autre question avec la seconde partie : merci de la remettre si vous le désirez.
J’en reste donc au problème de l’euthanasie, mais sans me focaliser sur le cas précis de Mme Humbert, car il est impossible d’aborder ce sujet à partir d’un cas particulier.
J’avoue avoir été choqué (pardon du terme) de lire que selon vous cette souffrance est inutile. Qu’elle est intolérable, nous sommes bien d’accord - mais y a-t-il une souffrance qui soit tolérable ? Quant à dire qu’elle est inutile, je ne vois pas comment vous pouvez concilier cela avec votre foi chrétienne ? Jésus n’est-il pas venu précisément donner sens à l’absurde d’une condition humaine marquée par la souffrance et la mort, suite au péché ? Le Verbe n’a-t-il pas pris chair de cette chair blessée pour y répandre sa Vie divine ?
Vous me direz peut-être que je parle comme un livre : non, je parle à partir de ma foi en Jésus crucifié, mort et ressuscité pour nous. En lui toute souffrance trouve un sens, et Saint Paul n’a pas peur d’écrire : « J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18 ).
Faut-il pour autant faire perdurer la souffrance ? L’Eglise a toujours insisté pour que l’on évite l’acharnement thérapeutique et que l’on accorde à la personne une mort digne. Mais quelqu’un a-t-il le droit de disposer de sa vie ou de celle d’un autre, même pour le soulager de la souffrance ? La vie n’est-elle pas à chaque instant un don de Dieu : pouvons-nous en disposer librement ?
Le parallélisme avec la mort de Jésus me semble malvenu : Notre-Seigneur est mort au terme de souffrances qu’on lui a infligées et qu’il a subies jusqu’au bout, sans que personne ne vienne mettre fin à son agonie.
Quant à dire que Dieu « met à mort son fils », je veux croire que c’est un lapsus, mais il révèle peut-être l’image d’un Dieu sanguinaire que trop de chrétiens véhiculent inconsciemment. Je me permets de redire que le vendredi saint n’est pas la révélation de la paternité divine, mais la révélation de l’absolu de la filiation – c'est-à-dire de l’abandon confiant du Fils entre les mains de son Père, jusque dans la mort librement consentie ; le Père manifeste l’absolu de sa paternité le matin de Pâque en ressuscitant Jésus.
Ceci dit, je conçois tout à fait que cette question est très délicate : qu’il est difficile de parler respectueusement du mystère de la souffrance et de la mort !

suzanne.b

donne la vie donner la mort

Message par suzanne.b »

1)-Vous dites:"la vie est un don de Dieu" et vous posez la question suivante: "pouvons-nous en disposer librement?"
Il me semble que la réponse est déjà inscrite dans la question.
Oui, je peux disposer d'un don. Qu'est-ce qu'un don qui aurait un caractère contraignant?"
2)- Vous dites aussi "toute vie appartient à Dieu". Si la vie est un don de Dieu elle ne lui appartient plus, je peux en faire ce que bon me semble ou ce n'est plus un don.
3)- Comme d'habitude je pense qu'il y a la Loi, principe abstrait, résumée dans la phrase "toute vie appartient à Dieu". C'est le Judaïsme. Heureusement il y a le Christ, l'Amour, donc la compréhension, l'intelligence du coeur, qui entrainent la compassion, la charité." C'est le christianisme.
Ouf! nous sommes sauvés. Nous sortons de ce tunnel sans fin où le péché nous avait enfermés. Nous voyons la lumière. Le malade qui subit une souffrance intolérable sait qu'il peut en être délivré. Des médicaments peuvent l'aider un temps à supporter l'insupportable. Au-delà? Il y a la mort. Ma mort. La mienne, pas celle du voisin. La mort que je désire et que j'appelle pour entrer dans la paix. Enfin.

arnauld

la souffrance

Message par arnauld »

Faut-il croire que Dieu tire un bon parti de toute souffrance ?
Si oui, ne serait-on pas tenter de croire que Dieu est un dieu
forgeron qui nous plonge dans la souffrance pour amollir notre orgueil et nous frappe à grand coup de marteau pour faconner de belles âmes ?
C'est parfois l'image que je me fais de lui et ... c'est un peu rude!

P. Joseph-Marie
Messages : 1327
Enregistré le : 5 sept. 2003

Message par P. Joseph-Marie »

Dire que Dieu s’évertue à tirer un bien de toutes situations, y compris de la souffrance, ne signifie pas pour autant que c’est lui qui nous envoie la souffrance !

P. Joseph-Marie
Messages : 1327
Enregistré le : 5 sept. 2003

Message par P. Joseph-Marie »

1- Vous avez raison : ce qui est donné est donné et ne peut se reprendre. Mais pour nous chrétiens, le modèle de la logique du don se déploie dans la Trinité : le Père se donne au Fils sans rien demander en retour ; mais c’est précisément la gratuité de ce don qui appelle la réciprocité du don dans l’amour.
2- La vie est mouvement, échange, relation interpersonnelle ; bien sûr vous pouvez la saisir, vous l’approprier comme un objet, la garder pour vous-même, mais est-ce encore la vie ? Je crois que nous sommes au cœur du paradoxe de l’Evangile, au cœur de son message : « celui qui ose perdre sa vie en la donnant la trouve ; celui qui la garde pour soi, la perd ». C’est en ce sens que la vie donnée par Dieu, désire par sa nature même, à refluer vers sa Source dans un mouvement de désappropriation dans lequel elle trouve son plein épanouissement. Car la vie nous est donnée pour que nous puissions découvrir l’amour, précisément dans le don réciproque.
3- La loi n’est pas un principe abstrait : pour le Juif elle est don de Dieu à sa fiancée Israël, permettant à celle-ci de demeurer dans la logique du don. N’opposez pas la loi à l’amour, car elle en est le chemin. Si nous devons décider par nous-mêmes des conditions de l’amour, pauvres aveugles que nous sommes, nous n’irons pas plus loin que la convoitise. La loi est le pédagogue qui nous enseigne à aimer « en Esprit et vérité », c'est-à-dire de manière objective, et non pas au gré des caprices de nos subjectivités blessées et égoïstes.
4- Si la vie est essentiellement relationnelle, et relation avec sa Source, j’aurai à cœur de vivre aussi ma mort en relation avec cette Source, c'est-à-dire avec Dieu. La façon de vivre cette relation jusqu’au bout consiste précisément à ne pas couper le fil de la vie avant l’heure. Prier « Père je remets ma vie entre tes mains » est tout autre chose que de dire « Je prends l’initiative de couper cette relation ».

suzanne.b

la loi et l'amour

Message par suzanne.b »

La LOI et l'AMOUR:
La loi juive est constituée d’une suite de commandements et de préceptes auxquels est assujetti le croyant et qu’il doit observer à la lettre.
Par l’observance scrupuleuse à cette Loi, le juif fait son salut.
A cette Loi et à “la lettre” de la Loi, qu’il confond avec “la Chair”, St Paul oppose le Christ qui n’est pas une doctrine, mais le VIVANT.
Amour, Charité, Compréhension, Compassion, le Christ interprète la Loi selon son coeur, avec intelligence.
L’Amour est transgressif, il transcende le judaïsme.
Ainsi doit s’expliquer la phrase du Christ:” Je suis venu accomplir la Loi”, qui, en bonne traduction, signifie “clore la Loi en la conduisant à son terme”.
Alors commence le christianisme qui s’invente à travers le Christ au delà de la Loi d’Abraham.
A la différence de la Loi qui s’applique quelles que soient les circonstances, l’Amour qui s’est incarné prend en considération l’expérience de chaque être humain dans son histoire singulière.
A l’universalité théorique, abstraite de la Loi juive, se substitue l’universalité de l’Esprit irrigué par l’Amour, comme le confirme cette phrase de l’Evangéliste: “la chair et le sang des sacrifices ne peuvent rien, seul l’esprit peut tout.”
Ceci est l'enseignement que nous recevions bien avant Vatican II.

Jean

Un beau texte

Message par Jean »

Bonjour,
j'ai trouvé intéressant votre débat, permettez moi de vous citer un texte que j'ai trouvé vraiment très juste sur cette question.
La mort au coeur de l'actualité. S'arrêter au seuil du mystère. Si le débat sur l'euthanasie est indispensable, on peut craindre que des médias, des groupes associatifs militants ne soient pas toujours dans la retenue et la nuance, si essentielles ici. Le mystère oblige à la pudeur. Mystère d'un amour, qui va jusqu'à se dire dans la violence terrible : souhaiter donner la mort. Véronique Margron.

Vincent est mort. Nous vient aussitôt ce mot : « enfin ». Oui, Vincent Humbert a enfin trouvé le repos. Et soyons-en sûr c'est désormais dans le coeur de Dieu qu'il est.

Histoire singulière bouleversante, exceptionnelle et même rarissime, par la somme de ses difficultés. Récit d'un scandale et d'un mystère. Le scandale d'une vie anéantie à 20 ans, enchaînée à la persévérance de la souffrance et du non-sens, et désormais une existence perdue pour celles et ceux qui l'ont aimé, pour notre société aussi. Tant de scandales sont là. Ceux de tant de vies brisées. Le scandale assigne, convoque au labeur, à l'opiniâtreté de la créativité, de la passion pour l'autre. Non s'acharner à le faire vivre, mais bien à ce que le souffle, jusqu'au bout, puisse être humain. Rappelons la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002 : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. » (A. L. 111-4.) Enjeu des soins dits palliatifs qui en fait sont essentiels. Mais aussi de la formation médicale, du dialogue avec le patient et ses proches, entre praticiens afin de trouver des consensus sur les « bonnes pratiques ». Importance de la proximité pudique avec les parents et amis.

Le progrès médical entraîne ses propres impasses. Sans les avancées fulgurantes de la réanimation, Vincent serait mort au jour noir de son accident. Mais sans un tel développement, des milliers d'existences ne seraient pas revenues non plus vers une vie vivante, ou avenir et projet peuvent à nouveau se conjuguer. Ces questions sont inédites : à nous, en société, de savoir en débattre avec respect et soin. La médicalisation croissante de la fin de vie aboutit de plus en plus à déposséder le patient de sa mort. Comment respecter les mots si graves du patient, sans imaginer qu'y répondre nous libérerait du dilemme dramatique du sens des verbes « soigner », « accompagner » « soulager « ?

Le scandale est aussi le lieu de la supplication. Pourquoi tant de douleurs dans nos existences si vulnérables ? Cette question est juste, il nous revient de l'adresser au Père de miséricorde. Qu'il vienne s'expliquer comme dirait Job ! Et s'il ne surgit pas, persévérer encore. Rien ne justifie tant de souffrances et de malheurs. Notre foi, pour Vincent comme pour sa maman et tous les siens, affirme que le Christ, homme des douleurs, n'a pu s'absenter de leurs larmes. Impuissant devant le malheur qui surgit ; puissant de sa seule tendresse. Il ne demande rien, surtout pas de folles souffrances. Aujourd'hui il accueille Vincent dans sa lumière et il implore le Père pour ses proches et pour ceux qui l'ont soigné avec délicatesse et persévérance. Prier pour tous ceux qui sont dans des situations infernales ; et refuser de donner des raisons. Ces dernières sont toujours trop petites face à la violence du mal subi. Et parfois elles sont si fausses. Pourtant, la question est nécessaire.

Scandale donc. Mais aussi mystère. Celui d'un lien unique entre Vincent et sa mère, Vincent et les siens. Celui de la relation avec l'équipe qui s'est tenue auprès de lui, bienfaisante. Ce mystère-là devrait interdire que quiconque se saisisse de l'histoire de ces personnes. Bien sûr, dans ce qu'elles ont vécu, d'autres peuvent en partie se reconnaître. Si le débat est indispensable, on peut craindre que des médias, des groupes associatifs militants ne soient pas toujours dans la retenue et la nuance, si essentielles ici. Le mystère oblige à la pudeur. Mystère d'un amour, qui va jusqu'à se dire dans la violence terrible : souhaiter donner la mort. Au nom du lien avec son fils, Marie Humbert a défait le lien. Cette antithèse ne peut et ne doit pas être réduite. Sous peine de nier le scandale, ou le mystère.

Faudra-t-il légiférer ? Nous continuons à espérer que non. Non pour nous voiler les yeux devant ces drames. Non pour se dérober et laisser ainsi aux familles des décisions impossibles. Mais au nom de ce rapport entre scandale et mystère. Le mystère demande qu'ici l'on s'arrête, nous nous tenions au seuil. Ainsi ce serait par un consensus le plus net entre une équipe, un patient, une famille, dans la discrétion des confiances offertes que des décisions insupportables seraient à même d'être prises, par les médecins. La loi n'a pas à autoriser. Elle ne peut non plus oublier le scandale et le mystère : là, elle doit se retirer, se retenir, pour accepter qu'agissent en leurs intimes consciences des êtres de chair et d'esprit, faillibles.

Véronique Margron

Théologienne moraliste
(Dans LA Croix du 09/10/2003)

Verrouillé