Le christianisme et l'hindouisme peuvent ils dialoguer sur un pied d'égalité en reconnaissant leurs richesses mutuelles ?
Je m'intéresse depuis des années à la voie de la bhakti hindouiste.
Il s'agit bien d'une voie d'approche dualiste et personaliste, fondée sur une authentique tradition et qui représente une forme de monothéisme hindou qu'on ignore trop souvent. La bhakti insiste sur l'aspect transcendant de Dieu, sans toutefois nier son aspect immanent et sa présence intérieure.
Personnellement je pense avoir découvert dans la Bhagavad Gita, le "christ" que la religion catholique n'a pas su me faire aimer .
Cette foi qui est vécue dans la dévotion, et le service de Dieu dans son prochain conduit également à l'extase, à l'union divine et non à la dissolution dans un absolu impersonnel.
D'ailleurs, des prêtres catholiques tel Raymond Panikkar pensent également que le Christ est caché dans l'hindouisme, et travaillent à un dialogue, un rapprochement des deux religions en insistant plus sur l'aspect universel du Christ que sur son aspect strictement historique.
Qu'en pensez-vous ?
Je vais profondément vous décevoir, mais ce qui est essentiel au christianisme, ce n’est pas l’extase mystique, …mais le Christ Jésus, tel qu’il se révèle dans les Evangiles, et se communique dans les sacrements de son Eglise.
Or je ne retrouve pas le Christ des Evangiles dans la Baghavat Gita ; en faisant des rapprochements qui relèvent plus du syncrétisme que de la religion comparée, vous pouvez bien sûr opérer des recoupements ; mais vous chercherez en vain dans la Bhakti la Croix du Seigneur Jésus, dont Saint Paul précise qu’elle est le seul titre de gloire du chrétien ? N’oublions pas que le christianisme apporte une proposition de sens à la souffrance qui est aux antipodes de la proposition hindoue, quel que soit le darshana auquel vous vous référiez.
Enfin vous n’êtes pas sans savoir que le dernier mot du Bhakti n’est pas le dualisme, mais le fameux « tatwam assi », (cela aussi tu l’es) qui nous replonge en plein advaita. Le dualisme n’est qu’un chemin parmi d’autres pour rejoindre la « vérité ultime » de l’hindouisme, qui est et demeure la non-dualité.
Quant à R. Pannikar, avec tout le respect que je lui dois, je ne considère plus qu’il fasse partie des théologiens chrétiens. Je viens de lire un article de lui qui m’a beaucoup peiné de la part d’un chrétien (et qui plus est d’un prêtre !). Je respecte sincèrement toutes les traditions religieuses tout en demeurant convaincu que le Christ est le chemin, la vérité et la vie. Si un jour – à Dieu ne déplaise ! – je devais changer d’avis, je cesserais de me présenter comme un « chrétien », par simple honnêteté intellectuelle et par respect pour ceux qui sont vraiment « chrétiens ».
Je vous remercie de votre franchise. J'aurais bien dû me douter que le père Pannikar n'était pas en odeur de sainteté si vous me permettez l'expression. Toutefois je reste persuadé que sa vision correspond à un reel besoin de croyant de plus en plus nombreux qui veulent depasser le cadre restreint du fait historique de Jésus. Il n'est pas le seul prêtre à
affirmer un "christianisme universel" pré existant dans toutes religions.
Le saint Esprit n'est-t-il pas présent dans les religions ? ne vient il pas aujourd'hui donner une nouvelle dimension au Christ ?
Non mon père, il ne s'agit pas de rejeter l'évangile de Jésus, mais il ne suffit plus aux croyants d'aujourd'hui, il ne répond pas à toutes les questions, loin de là. Jésus n'a-t-il pas dit " j'aurais encore beaucoup de choses à vous enseigner " Quelles sont ces choses que l'esprit de Vérité doit nous enseigner ? de quelle façon ? Il est légitime de s'interroger à ce sujet Aujourd'hui à cette époque de mondialisation, nous avons besoin de comprendre la foi et les croyances de l'autre. L'église d'aujourd'hui refuse d'écouter le besoin spirituel des croyants et les pousse à s'éloigner d'une religion devenue sclérosée, excusez du terme mais c'est comme ça que je la vois.
Mais dans ces conditions, à quoi rime le dialogue inter religieux proné par le pape ? si l'on refuse de s'enrichir mutuellement (le dialogue suppose écoute de l'autre). ou est-ce un message à sens unique ? est-ce un geste paternaliste ? comment concilier dialogue inter religieux et évangélisation de l'Asie ? Là encore je rejoins le père Pannikar, ce n'est pas une religion étrangère aux cultures d'Asie qu'il faut exporter, cela a toujours été une source de conflits, mais la vision du Christ universel qui est déjà présent dans ces cultures.
Mais peut être est-vous qui avez raison, il ne faut pas vouloir à tout prix rapprocher ce qui n'est pas compatible. Je reconnais que vos critères ont le mérite d'être clairs, sans amiguité, je les respecte, vous exposez parfaitement le défit que représentent les nouvelles religiosités, alors c'est à chacun de voir en lisant votre livre s'il est encore dans l'église ou en dehors, en toute liberté de conscience. Je pense même que tout chrétien devrait le lire et faire un examen de conscience, car souvent on flirte avec les nouvelles formes de religiosités sans avoir conscience qu'on s'éloigne de l'église, le résultat peut être douloureux, mais il faut assumer ce qu'on est.
Je crains que si l’Evangile ne suffit plus, c’est qu’on n’a pas compris que l’Evangile…c’est le Christ !!! Bien sûr qu’il faut actualiser le message : c’est bien ce que fait le Magistère, dans la continuité avec la Tradition de l’Eglise tout au long de l’histoire. Quant à l’Esprit, il ne saurait enseigner quoi que ce soit qui nous offrirait un « nouveau Christ », voire même une nouvelle dimension du Christ. Certes l’Esprit nous introduit dans la vérité toute entière, mais cette vérité est celle que le Christ a incarnée il y a deux mille ans, et à laquelle nous avons accès par l’Evangile. La Tradition est « le passage de l’implicite vécu à l’explicite connu » (Blondel, de Lubac) qui s’opère sous la conduite de l’Esprit de vérité.
Je ne ressens pas la moindre agressivité dans vos propos, c’est pourquoi je réponds tout aussi franchement : je ne crois pas que le christianisme soit sclérosé, mais les interprétations qu’on en propose de nos jours occultent l’essentiel, à savoir la rencontre libératrice avec Jésus-Christ, Seigneur et Sauveur. Il est clair que lorsqu’on en reste à une certaine présentation médiatique, on en vient à se demander comment un Saint Augustin, un Saint Thomas, un Saint François, ont pu être chrétiens ! Mais peut-être faut-il à l’inverse se poser la question : les médias nous parlent-ils encore du christianisme de ces géants, qui ont contribué à l’édification de notre culture ? Ou pour répondre autrement : une certaine religion chrétienne est peut-être sclérosée, mais la foi garde toute la fraîcheur de l’Esprit Saint qui la communique aux cœurs simples.
Le sujet du dialogue interreligieux est complexe, mais ne croyez pas que l’attitude « paternaliste » soit d’abord chrétienne : aujourd’hui ce serait plutôt le contraire, avec des chrétiens qui n’osent plus affirmer leur identité, tant on les a culpabilisés sur leur « triomphalisme » du passé. Avez-vous lu ce qu’écrit Pannikar sur ce prof de philo indien qui cite Hitler comme modèle du chrétien ? Cela fait hurler, lorsqu’on sait que le nazisme est un anti-transcendantalisme (au nom d’un pan-germanisme) qui visait d’abord les juifs, mais aussi les chrétiens pour leur adhésion au Dieu personnel transcendant ! Je cite cet exemple pour vous dire que le dialogue est vraiment à construire pour tous les participants. Je pourrais hélas vous citer d’autres exemples moins provocants, mais tout aussi éloquents dans le contexte du dialogue avec le Bouddhisme. Juste un seul, rapidement : un bouddhiste à qui je demandais comment il interprétait la mort de Jésus, me répondait très sincèrement que pour lui, le Christ avait du être un grand criminel dans une vie antérieure pour avoir à assumer un karma aussi négatif que la crucifixion. Non vraiment, je ne suis pas sûr que ce soient les chrétiens qui aient l’attitude la plus « paternaliste » dans le dialogue interreligieux…
Effectivement le dialogue inter religieux est un sujet qui me passionne
il a a suscité beaucoup d'espoir lors des premières rencontres d'Assise, mais on s'aperçoit vite qu'il a ses limites. Les religions peuvent elles vraiment dialoguer sur un même pied d'égalité sans arrière pensées ? Aujourd'hui j'en doute fortement.
Néanmoins les rencontres d'Assise constituent désormais un précédent et ont peut être ouvert les portes au relativisme religieux ? car si toutes les religions sont capables de se réunir c'est qu'elles détiennent toutes une part de vérité... c'est en quelque sorte une reconnaissance du même Esprit qui les anime.
Dans son livre sur Jésus, le Dalai lama et ses interlocuteurs parlent d'enrichissement mutuel ? c'est une belle intention, mais là encore, on dévie trés vite vers les comparaisons douteuses que vous condamnez, il en est de même pour les prêtres qui ont approché l'advaita et le compare avec l'évangile de St jean. C'est inévitable.
On aimerait que les religions se rencontrent plus souvent ne serait-ce qu'un symbole de paix dans le monde, mais comment est-ce possible sans dévier vers une sorte de relativisme ? Reconnaître l'autre même avec ses différences c'est déjà l'accepter. C'est la grande question à laquelle je suis confronté et je n'ai pas de réponse.
Je vous remercie en tout cas pour cet échange spirituel.
Vous soulignez très justement qu’il faudrait avant tout que les grandes religions se rencontrent, au-delà de leurs différences objectives, pour œuvrer ensemble pour la paix. Remarquez que c’était là le but exclusif des rencontres d’Assises organisées par le pape Jean-Paul II : le Saint Père a explicitement dénoncé toute interprétation de ces rencontres en termes de relativisme religieux, ou comme une invitation au syncrétisme. Il s’agissait d’appeler à rassembler nos forces pour une valeur qui est commune à toutes les religions : la paix. Ce serait un immense pas en avant vers l’écoute réciproque dans un climat de respect et de bienveillance, si nous parvenions à travailler ensemble à l’établissement de la paix sur notre Terre.