Le lieu-dit Mont-Luzin est plein de charme : sis au flanc des Monts d’Or, il s’ouvre sur le vaste horizon de la plaine de Saône et des monts du Beaujolais : vision calme, reposante, de vallonnements légers, tout fleuris au printemps des promesses des vergers, riches en automne des fruits les plus réputés. C’est une terre riante et féconde, piquetée de fermes et de maisons de maîtres. Jusqu’au début du XXème siècle, la vigne couvrait le pays : depuis les maladies ruineuses des années 1900, elle a fait large place au poirier, au cerisier, au pommier. Les Romains ne s’y étaient pas trompés ; ils aimèrent cette région, y installèrent leurs maisons de plaisance, sans négliger d’en tirer leurs fruits.
D’où vient le nom de Mont-Luzin ? L’origine, à présent, semble bien établie. C’est le « mons Licinii », qui s’orthographie sous différentes formes dans les chartes anciennes : Mons Lisinnii, Mons Lysinii, Mons Lysinnii, etc.
Qui était donc ce Licinius, ce personnage assez important pour qu’une montagne (mons) portât son nom ? Le vieil auteur de l’Histoire Romaine, Dion (IIème siècle ap JC) nous renseigne déjà : Licinius était un Gaulois né au pied de la montagne de Tarare. Capturé par les Romains, il appartient, comme esclave, à César. César l’affranchit et il devint, sous Auguste, intendant des impôts pour la Gaule. Administrateur cupide et cruel, il se livra à d’effroyables exactions sur ses concitoyens, et accumula à leurs dépens une fortune considérable ; à telle enseigne qu’il fut dénoncé à Auguste, et que celui-ci s’apprêtait à le châtier de façon exemplaire. Mais l’homme était retors, il sut apaiser les impériales colères.
A ces renseignements de Dion, le Père Menestrier, l’excellent historien du lyonnais (XVIIIème siècle) ajoute : « Ce Licinius avait acheté la plupart des collines fertiles qui s’étendent depuis Vaise jusqu’à Albigny ; et depuis le bord de la rivière jusqu’à Tarare. Il voulut que ce pays portât son nom : il fut appelé la Montagne de Licinius. »
Mais ce « Mons Licinii », désignait un vaste territoire. Pouvons-nous affirmer que l’actuel Mont-Luzin était, entre toutes ces terres, un lieu privilégié, où Licinius aurait établi une résidence plus somptueuse et où il aurait aimé séjourner de préférence à toute autre de ses immenses propriétés ? Reconnaissons que nous ne possédons pas de preuves décisives. Mais, à défaut de certitude, nous disposons d’un certain nombre d’indices assez impressionnants. Indices philologiques : Lissieu, en patois régional Lissié, dérive de Licinius, et évidemment Mont-Luzin : pourquoi, dans le démembrement du « Mons Licinii », ces deux points qui, en réalité, n’en font qu’un, auraient-ils eu le privilège de garder le nom de Licinius, s’ils n’avaient été à l’origine, le centre du domaine du financier d’Auguste ? A ces indices phonétiques se joignent les indices archéologiques : certains vestiges romains découverts dans l’actuel Mont-Luzin semblent bien indiquer que la villa romaine, construite en cet endroit, correspondait à un niveau élevé de vie, de confort, voire de luxe. Souhaitons que ces indices, dont aucun, redisons-le, n’emporte encore la décision, deviennent assez nombreux et assez convergents pour constituer un jour une preuve, ou créer du moins une très haute probabilité.
Quoi qu’il en soit, il semble acquis qu’à partir, au moins, de l’occupation de la Gaule par Rome (donc dès le Ier siècle av JC), il exista, au lieu-dit Mont-Luzin, une demeure de grande importance, entourée de vastes terrains dont la vigne était la principale, mais non la seule culture.
Après l’occupation romaine, elle passa à de riches Lyonnais. Vers 990, trois frères qui la possédaient en commun en firent don aux moines de l’Abbaye d’Ainay : « Cette vigne est sise en pays lyonnais, dans la campagne du Mont d’Or, dans une propriété qui a nom Mons Lysinii » (charte n°37 du Petit Cartulaire d’Ainay).
Nous ignorons à quelle époque la « vigne » de Mont-Luzin fut revendue par l’Abbaye d’Ainay. Au début du XVIIIème siècle, elle appartenait à Dame Françoise Chevalier qui la vendit, le 21 novembre 1712, à Jacques Bollioud de la Roche, chevalier, conseiller honoraire en la cour des monnaies, séné-chaussée et siège présidial de Lyon. Jacques Bollioud la revendit, le 4 juin 1737 à Pierre-François Ravarin, qui la légua à son cousin, Jean Ravarin. Jean Ravarin fit-il de mauvaises affaires ? C’est des Syndics de ses créanciers, de sa femme et de son fils, Jean-Pierre Ravarin, que Jean-Baptiste La Cour acquit « Mont-Luzin », le 19 mars 1762.