ยซ Quโest-ce que la joie ? ยป
Voilร bien le genre de question dont la rรฉponse semble รฉvidenteโฆ jusquโร ce quโon nous la pose !
Rassurez-vous, les philosophes eux-mรชmes ne sont pas tombรฉs dโaccord sur une dรฉfinition. Celle proposรฉe par Descartes est cependant assez large pour pouvoir รชtre retenue comme point de dรฉpart : ยซ La joie est une agrรฉable รฉmotion de lโรขme en laquelle consiste la jouissance quโelle a dโun bien. ยป Disons quโil sโagit pour notre auteur dโun des รฉtats fondamentaux de la sensibilitรฉ, mais qui – ร la diffรฉrence du simple plaisir ou du bien-รชtre – affecte toute notre conscience et nous oriente positivement vers lโavenir.
Un autre philosophe, Spinoza, nous soumet une proposition plus รฉlaborรฉe : ยซ La joie est le passage de lโhomme dโune moindre ร une plus grande perfection ยป. La joie comme ยซ passage ยป me semble une idรฉe intรฉressante : nโรฉclate-t-elle pas ร chaque victoire sur ce qui sโoppose ร la croissance de la vie ? Cette approche a aussi lโintรฉrรชt de souligner que la joie de Pรขque est bien le paradigme de toute joie vรฉritable.
Poussant plus loin sa rรฉflexion, Spinoza distingue une joie toute particuliรจre : lโamour. Quโest-ce en effet quโaimer selon notre auteur ? ยซ Lโamour est une joie quโaccompagne lโidรฉe dโune cause extรฉrieure. ยป Le propre de lโamour, son essence, serait donc de se rรฉjouir ร la pensรฉe de lโรชtre aimรฉ, de se rรฉjouir du seul fait quโil existe, gratuitement, sans rien chercher ou attendre pour soi de cette relation. Le philosophe nโexprime-t-il pas ici une des intuitions โ peut-รชtre mรชme une des exigences – les plus profondes de notre cลur sur la nature de lโamour vรฉritable ?
Le Dieu dโamour ne peut รชtre que lโaccomplissement de ce pressentiment : notre Seigneur ne cesse de penser ร nous gratuitement, de prononcer notre nom avec dรฉlice, et cโest lร toute sa joie :
ยซ Et maintenant, ainsi parle le Seigneur, celui qui t’a crรฉรฉ, Jacob, qui t’a modelรฉ, Israรซl. Ne crains pas, car je t’ai rachetรฉ, je t’ai appelรฉ par ton nom : tu es ร moi. Car je suis le Seigneur, ton Dieu, le Saint d’Israรซl, ton sauveur. Tu comptes beaucoup ร mes yeux, tu as du prix et je t’aime ยป (Is 43, 1-4).
Si lโamour peut naรฎtre spontanรฉment dans nos pauvres cลurs – pourtant si malades – ร la vue dโun enfant, si nous parvenons ร nous rรฉjouir gratuitement sur le berceau dโun nourrisson, comment douter que notre Dieu ร chaque instant se penche sur nous avec toute la Tendresse de son Cลur de Pรจre, de Mรจre, de Frรจre et dโEpoux ?
ยซ Comme un jeune homme รฉpouse une vierge, ton bรขtisseur t’รฉpousera. Et c’est la joie de l’รฉpoux au sujet de l’รฉpouse que ton Dieu รฉprouvera ร ton sujet ยป (Is 62, 5).
Dรจs lors, qui pourra nous ravir notre joie ? Bien plus : cette joie jaillissant de la conscience de lโamour de Dieu pour nous, ne serait-elle pas un pressentiment de la bรฉatitude, cette Joie divine qui est notre hรฉritage ?
Que le Seigneur nous enseigne le chemin de la charitรฉ, afin que puisant dans la certitude de son Amour, la force dโaimer nous aussi de faรงon dรฉsintรฉressรฉe, nous entrions dans la joie, humble et discrรจte, mais toute divine, qui rรฉgnait au sein de la sainte Famille de Nazareth.
