Famille de Saint Joseph

« Notre Père, qui es aux cieux » (Mt 6,9)

par | 1 mars 2014

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« Notre Père »

1- En grec comme en latin, et dans la plupart des langues sauf le français, « Père » vient en premier : « Pater êmôn » (grec), « Pater noster » (latin), « Otche nach » (polonais), « Tatàl nostru » (roumain) ; parce que le Père est Source, Il est Père de manière absolue. Si le français le permettait, il faudrait dire « Père de nous », « Père nôtre ».

La plupart des Pères de l’Eglise soulignent l’audace d’une telle invocation. Jamais aucun homme n’aurait osé, de lui-même, appeler Dieu son père. Car appeler Dieu « Père », c’est s’affirmer fils de Dieu. Or c’est Dieu Lui-même qui nous invite à l’appeler ainsi. Les préfaces liturgiques au Notre Père, nous rappellent l’inouï de cette formulation en l’introduisant par l’expression : « Nous osons dire ».

2- L’expression « notre Père » nécessitait un complément, car pour les Juifs contemporains du Christ, cette expression désignait Abraham [« Abraham notre père » (cf. Rm 4,16)] ; il fallait pouvoir distinguer les deux sans ambiguïté. Une meilleure traduction eut cependant été : « notre Père des Cieux » ; c’est la syntaxe hébraïque qui impose : « notre Père, celui des Cieux », qui a donné notre traduction en passant par le grec. Etant donné que l’expression « Mon (ou « votre ») Père céleste » est souvent employée par le Christ (Matthieu la place sept fois sur ses lèvres), on peut regretter avec le Père Carmignac que le traducteur grec n’ait pas plutôt choisi l’expression « notre Père céleste », qui eût été plus exacte.

« Notre Père, qui es aux cieux »

3- La précision « qui es aux cieux » n’est pas une adresse, désignant un quartier de l’univers où habiterait Celui que Jésus nous invite à appeler « notre Père » – saint Augustin soulignait déjà que Dieu ne réside pas localement dans le ciel, car en ce cas, les oiseaux seraient plus près de lui que nous ! Il s’agit plutôt d’une affirmation théologique fondamentale. Dans la Bible, le terme « cieux » se prend en effet dans deux sens :

3.a– Ce qui est élevé, dans les tabernacles célestes, les sphères angéliques, et plus encore, ce qui est totalement transcendant, inaccessible. Le Royaume de Dieu est aussi appelé « Royaume des Cieux ». Ce terme s’oppose donc à terrestre, matériel, visible. Aussi affirmer que Dieu est dans le Ciel, c’est avant tout dire qu’il n’est pas une réalité matérielle, mais qu’il est Pur Esprit, et dépasse par le fait même toute perception sensible. Dans toutes les Ecritures, le ciel est le symbole par excellence de l’altérité divine : « Les cieux sont les cieux du Seigneur ; la terre, il l’a donnée aux hommes » (Ps 113[114],16). Dieu est radicalement Autre que tout ce que nous pouvons savoir ou imaginer : il est Kadosh, trois fois Kadosh (Is 6,3) ; Il n’est pas à notre disposition : nous ne pouvons pas mettre la main sur le Père. C’est plutôt lui qui nous tient dans sa main !

3.b– Le « ciel » désigne aussi le lieu intérieur où Dieu veut demeurer en nous, le « leb » (Ez 36,26), le « cœur », le tréfonds de notre être : « le Royaume est en [à l’intérieur de] vous » (Lc 17,21) ; aussi Jésus nous exhorte-t-il : « Quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6,6).

Notre Père est donc à la fois transcendant comme Créateur qui pénètre toutes choses de sa Présence d’immensité (1 R 8,27 ; Jr 23,24 ; Ps 139, 7-12) ; et immanent par sa présence personnelle au cœur de ses fidèles.

4- Prolongeant et élargissant la seconde interprétation, saint François d’Assise nous invite à prier : « Notre Père qui es aux cieux dans les anges et les saints les illuminant afin qu’ils connaissent parce que toi Seigneur tu es lumière ; les enflammant d’amour, parce que toi Seigneur, tu es l’amour ; habitant en eux et les remplissant de bonheur parce que toi Seigneur, tu es le bien suprême, éternel de qui provient tout bien, et sans qui il n’existe aucun bien. » Sous la plume du Poverello, le terme « ciel » désigne la plénitude de Dieu qui est révélée aux parfaits, aux anges et aux saints, et vers laquelle nous sommes en chemin.

« Notre Père, qui es aux cieux »

5- « Père céleste » s’oppose à « père terrestre ». Jésus lui-même insiste : « N’appelez personne “père” sur la terre, parce vous n’avez qu’un père, le Père céleste » (Mt 23,9).

5.1– Dieu assure donc à notre égard une double paternité :

a-      C’est lui qui a insufflé notre âme spirituelle au moment de notre conception : « L’âme spirituelle de tout homme est “immédiatement créée” par Dieu ; tout son être porte l’image du Créateur » (Jean-Paul II, Instruction Donum Vitae).

b-     Le jour de notre baptême, il nous a rendus participants de sa propre vie dans l’Esprit : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu » (Jn 1, 9-13).

Et encore : « Dieu vous a fait renaître, non pas d’une semence périssable, mais d’une semence impérissable : sa parole vivante qui demeure » (1 P 1,23).

La paternité divine est donc infiniment plus importante que la paternité charnelle qui en découle : « Ce qui est né de la chair n’est que chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jn 3, 1-8).

5.2– Mais il ne faut pas oublier les passages des Evangiles où Jésus suggère une autre opposition, entre deux paternités spirituelles antagonistes : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car moi, c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens. Vous n’êtes pas capables d’entendre ma parole car vous êtes du diable : c’est lui votre père, et vous cherchez à réaliser les convoitises de votre père. Depuis le commencement, il a été un meurtrier. Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Quand il dit le mensonge, il le tire de lui-même, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jn 8, 42-44).

Ces propos de Jésus sont comme un glaive à deux tranchants, qui pénètre « jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles » (He 4,12) ; tout comme cette autre parole : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12,30). Ou bien nous nous unissons au Christ par un amour humble et sincère, pour devenir en lui des fils du « Père des cieux » ; ou bien nous faisons alliance avec l’Adversaire, qui exerce envers nous sa paternité morbide en distillant dans nos cœurs le mensonge de l’autonomie absolue.

Entre ces deux paternités antagonistes, Dieu ou Satan, il faut choisir ; il n’y a aucune autre alternative, pas même une position d’attente ou de neutralité : ne pas prendre position revient à faire tacitement allégeance au Prince de ce monde. D’où l’importance d’affirmer clairement notre appartenance, en faisant appel à « Notre Père qui est aux cieux ».

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